1768-01-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Joseph Thoulier d'Olivet.

Vous m'écrivez sans lunettes les Lettres charmantes de vôtre main potelée, mon cher maître; et moi vôtre cadet d'environ dix ans, je suis obligé de dicter d'une voix cassée.

Je n'aimerai jamais, Rends moi guerre pour guerre, par la raison que la guerre est une affaire qui se traitte toujours entre deux parties. L'immortel, l'admirable, l'inimitable Racine a dit,

Rendre meurtre pour meurtre, outrage pour outrage.

Pourquoi celà? C'est que je tue vôtre neveu quand vous avez tué le mien; c'est que si vous m'avez outragé je vous outrage. S'ils me disent pois, je leur répondrai fêve, disait agréablement le correct et élégant Corneille. De plus, on ne va pas dire à Dieu, Rends moi la guerre. Peut être l'aversion vigoureuse que j'ai pour ce misérable sonnet de ce faquin d'abbé de Lavaux, me rend un peu trop difficile.

Et dessus quel endroit tombera ma censure
Qui ne soit ridicule et tout pêtri d'ennui?

Tartara non metuens, non affectatus Olimpum, est un vers admirable; je le prends pour ma devise.

Savez vous vien que s'il y a des maroufles superstitieux dans vôtre païs, il y a aussi un grand nombre d'honnêtes gens d'esprit qui souscrivent à ce beau vers de Tartara non metuens?

Vivez longtemps, moquez vous du Tartara. Que dis-tu de mon extrême onction? disait le père Talon au père Gédouin alors jeune jésuite. Va, va, mon ami, continua t-il, laisse les dire, et bois sèc. Puis il mourut. Je mourrai bientôt, car je suis faible comme un roseau; c'est à vous à vivre, vous qui êtes fort comme un chêne. Sur ce, je vous embrasse vous et votre prosodie le plus tendrement du monde.

NB. Je suis obligé de vous dire avant de mourir qu'une de mes maladies mortelles est l'horrible corruption de la langue qui infecte tous les livres nouveaux. C'est un jargon que je n'entends plus, ni en vers, ni en prose. On parle mieux actuellement le français ou françois à Moscou qu'à Paris. Nous sommes comme le république romaine qui donnait des loix au dehors quand elle était déchirée au dedans.