Paris, 15 Janv. 1768
Bon jour, et bon an.
C'est ce matin seulement, qu'il est venu jusqu'à moi une brochure où il est parlé de Des Barreaux.
Vous devriez bien dire à ce misérable Thiriot, qui s'est allé loger à cent lieues de moi, rue Beautreillis, de m'envoyer certaines nouveautez dont je n'ai connoissance qu'après coup. Je les recevrois, et les rendrois avec le plus grand secret, dans les 24 heures.
Revenons à la brochure. 1. On dit que Desbarreaux n'est pas l'auteur du fameux sonnet. Cela est certain. 2. On dit que Rendre guerre pour guerre n'est pas françois. Mais ne dit-on pas Rendre injures pour injures, rendre amitiés pour amitiés &c.?
3. Quoique vous existiez dans le district du Parlement de Bourgogne, vous n'êtes pas obligé de connoître Pierre Dumay, ancien Conseiller en ce Parlement. Il est parlé de lui dans le Ménagiana de la Monnoye. C'étoit un grand Poëte Latin. Il vivoit encore, plus qu'octogénaire, et aveugle, lorsque j'arrivai en 1703 à Dijon. Dans ce temps-là j'aurois dit d'un grand Poëte Latin, Ille mî par esse deo videtur. J'allai lui rendre mes hommages, et après connoisance faite, je ne l'abordois qu'avec une belle Ode latine, qui ne me paroissoit que belle, mais que je croyois divine, quand il l'avoit louée. Ce bon viellard avoit beaucoup connu Desbarreaux, qui, comme vous savez, alloit volontiers passer le temps des grandes chaleurs dans votre voisinage, à Challon sur Saone. En ce temps-là ce fut une mode que ceux qui se piquoient de savoir écrire, fissent leur Portrait en vers ou en prose. Vous connoissez le Recueil des Portraits de S. A. Mademoiselle de Montpensier. J'entends que vous me dites, Maudit bavard, viens donc au fait. J'y viens. Des Barreaux avoit fait son portrait en vers Latins, dont voici le dernier.
J'ai oublié le reste. Vous qui n'oubliez rien, vous savez l'usage que fait Horace, Sat. IX, du verbe affectari, et vous en trouverez l'application pittoresque dans Des Barreaux.
Le bon Du May qui mangeoit souvent avec lui, disoit que sa manière de boire, c'était presqu'à chaque morceau, mais à très-petits coups, et cela il l'appeloit se paillarder la langue. N'allez pas, je vous en prie, lire cette dernière ligne devant Madame Denis. Car depuis qu'elle sait que je suis né le 30 mars 1682, elle ne manqueroit pas de s'écrier ici, Ah le vieux fou! Je finis tout court, de peur que si j'ajoutois encore quelques lignes, il ne m'arrivât d'ajouter quelque folie. Vale, et Olivetum, ut facis, ama.
Je vais envoyer ceci à notre cher Comte d'Argental qui le fourrera dans quelqu'une de ses dépêches.