Ferney 27 mai 1768
Votre vieux bibliothécaire, madame, vous sert bien mal, et quelque livre qu'on puisse vous envoyer, celle qui juge si bien de tout sera toujours mal servie.
Dès qu'il paraitra dans les pays étrangers quelque nouveauté qui semblera mériter un peu vos regards, je ne manquerai pas de me la procurer pour vous la faire parvenir.
J'ai mérité si peu vos bontés que c'est un peu en tremblant que je vous demande une grâce. J'aurais quelque besoin madame de la protection de mr le cal de Choiseul dans une affaire pour laquelle je prends un vif intérêt; elle ne me regarde qu'indirectement, mais l'amitié me la rend personnelle. Oserais-je prendre la liberté de vous demander madame une lettre de recommandation en ma faveur pour son éminence? La signature de mr le duc de Choiseul est inutile après la vôtre; mais elle ne gâterait rien; et comme il s'agit d'une affaire, cela ferait voir que vous êtes autorisé de votre marià me protéger, ce qui est valable en droit civil et en droit canon. Si je pousse trop loin la liberté, refusez moi tout net.
Votre protégé Dupuits chante avec moi vos Louanges du soir au matin. Je le soupçonne pourtant d'un peu d'ingratitude, car il parle vingt fois de votre mérite contre une où il s'étend sur vos bienfaits. Je vois que votre destinée est de vous attirer plus d'adorations que de reconnaissance. Pour moi madame, je suis avec les deux sentiments et un profond respect, madame, votre très humble et très obéïssant serviteur
Voltaire