1734-05-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Par des lettres que je viens de recevoir mon cher Cideville, on vient de m'assurer que c'est l’édition de votre protégé qui a paru, et qui a fait tout le malheur.
Je n'en seray certain par moy même que lorsque j'auray vu les exemplaires que j'ay donné ordre qu'on m'envoyast incessamment. Il y a près d'un mois que je l'ay fait chercher dans Paris, et que je l'ay fait prier de m’écrire ce qu'il savoit de cette affaire. Point de nouvelle. Je ne sai où il est. Il y a aparence qu'il m'eût écrit s'il avoit été innocent. Vous jugez bien que dans cette incertitude je ne puis rien faire. Acheter ce que vous savez est absolument inutile, et même très dangereux. Le mieux est de se tenir tranquile quelque temps. Je luy conseille d'aller voiager en Hollande. Je ne sais si je n'iray pas y faire un tour. J'ignore encor si l'on vous a fait toucher 1368lt. Si vous les avez je vous prie de les renvoyer à mr Paquier, agent de change, rue Quinquempoix, à Paris. Cet argent ne m'apartient pas. Il est à une personne à qui je le devois, qui en a un très grand besoin et qui s'en dessaisissoit en ma faveur, s'imaginant que c’étoit un moyen sûr d'apaiser l'afaire. Il ne faut pas qu'il soit la victime de son amitié. A l’égard de J. je ne vous en parleray que quand j'auray de ses nouvelles. Conservez moy votre tendre amitié. Je vous écriray quand je seray fixé en quelque endroit. Jusqu’à présent je ne vous ay écrit que comme un homme d'afaire. Mon cœur sera plus bavard la première fois. Adieu. Mille amitiez à Formont et à l'abbé Derenel.