à Paris ce samedy [15 9bre 1732]
J'arrive de Fontaineblau mon cher amy, mais ne croiez pas que j'arrive de la cour.
Je ne me suis point gâté dans ce vilain pays.
Je me rends tout entier mon cher Cideville aux doux plaisirs de l'amitié. Je vous écris en liberté, je jouis de la douceur de vous dire combien je vous suis attaché. Je voulois vous écrire tous les jours, mais la vie dissipée que je menois à Fontaineblau me rendoit le plus paresseux amy du monde. Je n'ay point répondu ce me semble à une de vos dernières lettres où vous me parliez de ce divertissement en trois actes; je ne sai comment j'avois pu oublier un article qui me paroit si important. Je viens de relire la lettre où vous m'en parlez. Vous me semblez indécis sur le choix du second acte. Je m'imagine qu’à présent vous ne l’êtes plus et que vous avez pris votre party à la campagne. Vous vous serez aperçu en essayant dans votre imagination les sujets que vous vous proposiez, qu’ l y en a toujours un qui se fait faire malgré qu'on en ait. Le goust se détermine tout seul vers le sujet pour le quel on se sent plus du talent.
Il est des nœuds secrets, il est des sympathies. Je crois donc votre sujet trouvé et travaillé malgré vous.
C’étoit ce qu'Horace écrivoit à l'autre Cideville et cela ne veut dire autre chose sinon, quand vous aurez jugé vos procez vous recommencerez votre opera. On a rejoué icy Zaire. Il y avoit honnêtement du monde et cela fut assez bien reçu à ce qu'on m'a dit. Il n'en est pas de même de Biblis et de son frère Caunus, mais on y va quoy qu'on en dise du mal. L'opera est un rendezvous public où l'on s'assemble à de certains jours sans savoir pourquoy. C'est une maison où tout le monde va quoy qu'on dise du mal du maître et qu'il soit ennuyeux. Il faut au contraire bien des efforts pour attirer le monde à la comédie, et je voi presque toujours que le plus grand succez d'une bonne tragédie n'aproche pas celuy d'un opera médiocre.
La comédie de la cour et du parlement vient de finir par un acte fort agréable où tout le monde paroit content. Ce n'est pas que l'intrigue de la pièce ne puisse recommencer, mais je ne me mêle pas de ces farces là.
Un jeune conseiller de nos enquêtes nommé mr de Montessu avoit pris le party de ne point aller au lieu que le roy luy avoit donné pour sa retraitte, et s’étoit tapi à Paris chez la demoiselle la Bate, comédienne médiocre mais assez jolie putain. Il y est mort incognito de la petite vérole au grand étonnement des connoisseurs qui s'attendoient à un autre genre de maladie.
Apropos de comédienne, si vous n'avez point vu mes petits versiculets pour La demoiselle Gossin je vous les enverray. Vous avez des droits sur mes ouvrages, et vous en aurez sur moy toutte ma vie.
Mandez moy un peu je vous prie si vous avez vu l’épouse de Gilles Bernieres et si monsieur le marquis se trouve bien de son ménage. Mr le marquis ne m'a pas écrit un petit mot.
V.