Je viens mon cher amy d'envoyer au très diligent mais très fautif J. une 25 lettre qui contient une petite dispute que je prens la liberté d'avoir contre Pascal.
Le projet est hardi, mais ce misantrope chrétien, tout sublime qu'il est, n'est pour moy qu'un homme comme un autre quand il a tort et je croi qu'il a tort très souvent. Ce n'est pas contre l'auteur des provinciales que j'écris, c'est contre l'auteur des pensées où i me paroit qu il attaque l'humanité baucoup plus cruellement qu'il n'a attacué les ésuites. Si tous les hommes vous ressembloient mon cher Cideville m Pascal n'eût point tant dit de mal de la nature humaine. Vous me la rendez respectable et aimable autant qu'il veut me la rendre odieuse. Je suis bien fâché contre ce dévot satirique de ce qu'il m'a empêché de retoucher melle du Guesclin, et d'achever mon opera. Je ne sai s'il ne vaut pas mieux faire un bon opera, bien mis en musique que d'avoir raison contre Pascal. Je vous enverray et tragédie, et opera dès que tout cela sera au net. Vous aurez ensuitte les pièces fugitives delicta juventutis meœ que vous avez demandez. Mais il faudra auparavant les retoucher un peu, quœ multa litura coercutt. Car lorsque c'est pour vous qu'on travaille il faut de bonne besogne. Mais vous qui parlez, vous me devez une belle épitre, et vous ne me l'envoyez point.
Je vous plains bien de n'avoir pas encor de bonnes lettres de vétérance, de n avoir pas vendu votre robe et de n'être pas à Paris. La dernière lettre que je vous écrivis, étoit toutte faitte pour un homme comme vous qui se lève à quatre heures du matin pour les afaires des autres. Je ne vous y parlois que d'affaires et de précautions à prendre. Si J. vient chez vous recomandez luy bien de faire tout ce que je propose, attendu que c'est pour son bien. Ordonnez luy de vous remettre tout généralement ce qui sera de mon écriture, lettres, épreuves, etc.
Avez vous entendu parler d'une nouvelle brochure périodique que l'abbé des Fontaines donne sous le nom de l'auteur des mémoires d'un homme de qualité? Il y dit du mal de Zaire. Il a cru qu'il luy étoit permis de me maltraiter et d'en user avec moy avec un peu d'ingratitude en ne donnant pas les choses sous son nom. Je suis fâché qu'un homme qui m'a tant d'obligations me convainque tous les jours que j'ay eü tort de le servir et de l'aimer. J'espère que le petit Linant qui m'est bien moins obligé sera plus reconnoissant, et que nous en ferons un très honnête homme. Il luy manque des agrémens, de la vivacité et de la lecture. Mais tout cela peut s'aquérir par l'usage. Il a tout le reste qui ne s'aquiert point, jugement, esprit et talent. Mais il y a encor bien loin de tout ce qu'il a à une bonne tragédie. Je me flatte que ce sera un excellent fruit qui mûrira à la longue. Adieu, je vous embrasse.La poste va partir.
ce mercredy [1er juillet 1733]