1723-12-10, de Louis Nicolas Le Tonnelier de Breteuil, baron de Preuilly à Voltaire [François Marie Arouet].

Il n'y a que vous dans le monde monsieur, qui le seizième jour d'une petite vérole très maligne, après dix prises d'émétique, ne pouvant ni remuer, ni parler, ayez encore la force de penser et de composer des ouvrages tels que celui que vous m'avez envoyé, mais je n'en suis point surpris, je connais votre esprit & votre cœur; tous deux vous ont inspiré des vers, sans songer seulement si la machine souffrait ou non.
Les corrections que vous avez faites à votre ouvrage l'ont rendu parfait; vous avez retranché des vers inutiles, vous en avez changé de défectueux, votre pièce est devenue par là si différente, que la première leçon n'ayant fait que m'émouvoir, la seconde m'a arraché des larmes. Vous êtes en France le seul poète qui soyez docile, aussi êtes vous véritablement le seul poète. Le public trouve ces derniers vers admirables; vous avez pourtant des censeurs, mais ne vous en effrayez pas. Il y a des gens qui ne peuvent se résoudre à vous louer, il y en a quelques uns qui ne peuvent souffrir que vous louiez personne. Je vous avertis d'avance que les louanges ne réussissent jamais à la cour; mais celles que vous donnez dans votre ouvrage sont des portraits si ressemblants, que le public désintéressé les aimera toujours. Laissez donc gronder le petit nombre de vos critiques, jouissez de votre gloire et soyez sensible à mon amitié.

Je suis &c.