En arrivant à Ussé j'avois la plume à la main pour vous écrire Lorsque dans le moment j'ai reçu votre lettre dattée du 31; la conversation de Genonville a inspiré un esprit de critique que je m'en vais adoucir; vous sçaurez que dans le marché que j'ai fait avec Levier à la Haye j'ai stipulé expressément que je me réservois le droit de faire imprimer mon poème partout où je voudrois, et je suis convenu avec luy que supposé que l'ouvrage pût se débiter en France je ferois mettre à la tête le nom du libraire de Paris qui le vendroit, avec le nom du libraire de la Haye.
Mon dessein donc est que le public soit informé que ce livre se débitera à Paris comme en Hollande afin de ne point efaroucher les souscripteurs, selon les idées que j'ai toujours eües sur cela et qui ont été invariables.
Quel démenti aurai-je donc? et que poura me reprocher la canaille d'autheurs quand mon ouvrage paroitra imprimé en Holande et sera débité en France? quel ridicule sera ce à moy de voir mon poème être reçu dans ma patrie avec l'aprobation des supérieurs? Je n'ai que faire d’écrire au cardinal. Je viens de recevoir un billet du garde des sceaux qui me croioit à Paris, et qui m'ordonoit de venir luy parler, aparemment au sujet de mon livre. C'est à luy que je vais écrire pour luy expliquer mes intentions.
A l’égard de monsieur de Troye, c'est de tout mon cœur et avec autant de plaisir que de reconnoissance que je verrai le dessein du frontispice exécuté de sa main. Je vous prie de l'en remercier de ma part, et de luy dire que je ne lui écris point parce que je suis malade. Vous pouvez fort bien dire à monsieur Coipel que les retardemens qu'il aporte, seront préjudiciables à l’édition de l'ouvrage, qu'ainsi vous croiez que je serai assez honoré et assez content quand je n'aurai que deux desseins de sa façon. S'il persiste à vouloir pour luy le dessein qui doit être à la tête, vous pourez luy dire tout simplement qu'il est juste que ce soit un morceau pour le professeur qui sans cette préférence ne voudra pas livrer ses desseins. Si cette déclaration le fâche, et si part là vous le mettez au point de refuser le tout, alors ce sera moy qui aurai à me plaindre de luy, et non luy, de moi. En ce cas vous exagérerez auprès de luy, l'estime que je fais de ses talens et la douleur où je serai de n’être point embelli par luy. Remerciez bien de Troye, et Galloches, dites leur que je leur écrirai incessamment, tâchez de consommer au plus vite cette négotiation. J'ai trouvé à Ussé un peintre qui me fera fort bien mes vignettes. Ecrivez moy un peu des nouvelles des actions. Genonville ne peut rien auprès des Paris que par monsr de Maisons qui a déjà été refusé comme vous savez. J’écrirai une lettre très forte à madame la maréchalle et je profiterai de mon loisir pour en faire une en vers aux Paris où je serai inspiré par mon amitié qui est assurément un Apollon assez vif. Adieu.
le 5 décembre [1722] à Ussé