1722-09-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Je reçois jeudi matin onzième septembre une lettre dans la quelle vous me marquez m'avoir écrit à Bruxelles chez mr de Morville.
Je vous avois par inadvertence donné l'adresse de Bruxelles aulieu de Cambrai, et je viens tout à l'heure d'envoier à Cambrai chercher la lettre qui y sera peutêtre. Je suis fort étonné de la colère mr de R. Je l'estime trop pour croire qu'il puisse vous avoir parlé avec un air de mécontentement comme si j'avois manqué à ce que je lui dois. Je ne lui dois que de l'amitié et non pas de l'asservissement, et s'il en exigeoit je ne lui devrois plus rien. Probablement je retournerai bientôt à Paris. Je viens de luy écrire. Je ne vous conseille pas de le revoir si vous attendez de recevoir de luy en mon nom des reproches qui auroient l'air d'une réprimande qu'il luy siéroit très mal de faire et à moi de souffrir, d'autant plus que la veille de mon départ je luy écrivis à Versailles où il étoit. En voilà assez sur cet article. Je vous prie toujours très instamment de m'envoier le poème de la grâce et de n'en rien dire à personne. Vous n'avez qu’à adresser le paquet à la Haye chez madame de Rupelmonde. J'y serai dans trois ou quatre jours. A l’égard de l'homme aux menottes, je compte revenir à Paris dans quinze jours, et aller ensuitte à Sully. Comme Sulli est à 5 lieues de Gien je serai là très à portée de faire happer le coquin et d'en poursuivre la punition moymême aidé du secours de mes amis. Je vous avois d'abord prié d'agir pour moy dans cette affaire parceque je n'espérois pas pouvoir revenir à Paris de quatre mois, mais mon voiage étant abrégé il est juste de vous épargner la peine que vous vouliez bien prendre. Vous ne serez pourtant pas quitte de touttes les négotiations dont vous étiez chargé pour moy. Je vous envoie les idées des desseins d'estampe que j'ai redigées.

Aiez la charité de charger Coipel de trois dessins et de Troyes de quatre. Je chargerai du reste Picard que je crois à la Haye. Aiez la bonté de me mander les estampes que de Troies et Coipel auront choisies. Dites leur à tous deux que j'aurai incessament l'honneur de leur écrire. On m'a fait les honneurs de Bruxelles à merveilles, on vient de me mener dans le plus bau bordel de la ville. Voilà les vers que j'y ai faits:

L'amour au détour d'une rue
M'abordant d'un air effronté
M'a conduit en secret dans ce bouge écarté.
J'ai d'abord sur un lit trouvé la volupté
Sans juppe; elle étoit belle, et fraîche et fort dodue.
La nimphe avec lubricité
Me dit, je t'offre ma bauté simple et pure,
Des plaisirs sans chagrin, des agrémens sans fard.
L'amour est en ces lieux enfant de la nature.
Partout ailleurs il est enfant de l'art.

Je n'ai pas envoié cette lettre plutost quoi qu'elle soit écritte depuis quatre jours parceque j'attendois réponse de Cambrai sur votre première lettre à l'adresse de monsr de Morville. On n'en a point entendu parler à Cambrai, encor moins à Bruxelles. Mandez moy sitost la présente reeüe ce qu'il y avoit d'important dans cette lettre. Si vous avez déjà consigné pour des menottes, il n'y a qu’à poursuivre vivement, sinon attendons mon retour qui je croi sera prompt. Adressez votre lettre à la Haye chez mr de Morville ambassadeur de France. Je ferme ma lettre et suis prêt de partir lorsque je reçois la vôtre non dattée. J'ai commencé la mienne il y a 8 jours et je l'achève aujourd'huy vendredi; écrivez vite à la Haye mon cher enfant et comptez à jamais sur mon amitié.

Coipel

A la tête du poème; Henri quatre au naturel sur un trône de nuages tenant Louis quinze entre ses bras et luy montrant une renommée qui tient une trompette où sont attachées les armes de France.

Disce puer virtutem ex me verum que laborem.

Galoches

1er chant; une armée en bataille, Henri trois et Henri quatre s'entretenant à cheval à la tête des troupes. Paris dans l’éloignement, des soldats sur les remparts. Un moine sur une tour avec une trompette dans une main, et un poignard dans l'autre.

Galoches

2 chant; une foule d'assassins et de mourants, un moine en capuchon, un prêtre en surplis, portant des croix et des épées. L'amiral de Coligni qu'on jette par la fenêtre; le Louvre; le roy, la reine mère et toute la famille Roiale sur un balcon, une foule de morts à leurs pieds.

de Troies

3ème chant; le duc de Guise au milieu de plusieurs assassins qui le poignardent.

Galoches

4ème chant; le Châtau de la Bastille dont la porte est ouverte. On y fait entrer les membres du parlement deux à deux. Trois furies avec des habits semez de croix de Lorraine, un flambau à la main, sont portées dans les airs sur un char traîné par des dragons.

de Troies

5ème chant; Jacques Clement à genoux devant Henri trois lui perce le ventre d'un poignard. Dans le lointain Henri quatre sur un trône reçoit le serment de l'armée.
6ème chant; Henri quatre armé endormi au milieu du camp; st Louis sur un nuage mettant sa couronne sur la tête de Henri quatre, et luy montrant un palais ouvert. Le temps la faux à la main est à la porte du palais, et une foule de héros dans le vestibule ouvert.

Coipel
de Troie

Septième chant; une mélée au milieu de la quelle un guerrier embrasse en pleurant le corps d'un ennemi qu'il vient de tuer. Plus loin Henri quatre entouré de guerriers désarmez qui luy demandent grâce à genoux.

Coipel

8ème chant; L'amour sur un trône couché entre des fleurs, des nimphes et des furies autour de luy; la discorde tenant dans ses mains deux flambaux, la tête couverte de serpens parlant à l'amour, qui l’écoute en souriant. Plus loin un jardin où on voit deux amants couchez sous un berceau; derrière eux un guerrier qui paroit plein d'indignation.

Galoches

9ème chant; les remparts de Paris couverts d'une multitude de malheureux que la faim a desséchez et qui ressemblent à des ombres. Une divinité brillante qui conduit Henri quatre par la main, les portes de Paris par terre, le peuple à genoux dans les rues.