Monseigneur,
J'envoie à Votre éminence un petit mémoire de ce que j'ai pu déterrer touchant le Juif dont j'ai eu l'honneur de vous parler.
Si votre éminence juge la chose importante oserai-je vous représenter qu'un Juif n’étant d'aucun pays que de celui où il gagne de l'argent, peut aussi bien trahir le roy pour l'empereur que l'empereur pour le roy?
Je suis fort trompé ou ce Juif poura aisément me donner son chifre avec Willar et me donner des lettres pour luy.
Je peux plus aisément que personne au monde passer en Allemagne sous le prétexte d'y voir Roussau à qui j'ai écrit il y a deux mois que j'avois envie d'aller montrer mon poème au Prince Eugene et à luy. J'ai même des lettres du prince Eugene dans l'une des quelles il me fait l'honneur de me dire qu'il seroit bien aise de me voir. Si ces considérations pouvoient engager votre éminence à m'employer à quelque chose, je la suplie de croire qu'elle ne seroit pas mécontente de moy et que j'aurois une reconnaissance éternelle de m'avoir permis de la servir.
Je suis avec un profond respect
de votre éminence
le très humble et obéissant serviteur
Voltaire
ce jeudy 28 [May 1722]