Lunéville, 30 juillet [1749]
Vous m'avez fait Monsieur le plus sensible plaisir.
Vos lettres sont après votre conversation l'une des choses que j'aime le mieux. Vous n'avez pas assurément diminué le goust que j'ai pour vous; j'aurois mieux aimé que vous m'eussiez annoncé votre ouvrage, que la pluspart des livres dont vous me parlez. Je ne feray venir que celui de M. de Buffon, il poura m'aprendre des véritez. Les lettres de Roussau qui sont en chemin ne me diront que des mensonges, et encor ce seront des mensonges mal écrits. Il y avoit loin assurément entre ce forgeur de rimes recherchées, et un homme d'esprit, et encor plus loin entre lui et un honnête homme. Si c'est Racine le fils, ou Racine fy comme disoit l'abbé Gédouin, qui a fait imprimer ces lettres, il a fait là une vilaine action. Mais je ne veux pas l'en soupçoner, il doit être dégoûté de faire imprimer des lettres, et d'ailleurs je lui crois trop de probité pour penser qu'il se soit avili à rendre publiques de plattes et d'insipides calomnies. Il y a un autre homme que j'en soupçonne. Je ne désespère pas qu'on nous donne incessamment un recueil de lettres de l'abbé Desfontaine, de Chaussons et de Deschaufours. Au reste je peux vous assurer que si je voulois publier des lettres originales que j'ay entre les mains je ferois voir que Roussau a vécu en méchant homme et est mort en hipocrite, mais à quoy luy ont servi ses méchancetez? A luy faire traîner une vie vagabonde et malheureuse, à le chasser de chez tous ses maîtres, à luy laisser pour toutte ressource un juif condamné à Paris à être roué. Les honnêtes gens doivent être affligez que ce coquin là ait fait de beaux vers.
L'homme dont vous parlez qui fait de mauvaises épigrammes contre un corps dont il est exclus est bien aussi méchant que Roussau, mais il n'a pas comme luy de quoy racheter un peu ses vices.
Je connois de réputation Aaron Hill, c'est un digne anglois. Il nous pille et il dit du mal de ceux qu'il vole.
Madame Du Chastellet a écrit au gouverneur de Vincennes pour le prier d'adoucir autant qu'il le poura la prison de Socrate Diderot. Il est honteux, que Diderot soit en prison et que Roy ait une pension. Ces contrastes là font saigner le cœur.
Adieu monsieur, vous m'avez mis en goust. Ne m'abandonnez pas je vous en prie. Ecrivez quelquefois à votre zélé partisan, à votre amy et ne faittes pas plus de cérémonie que moy.
V.