18e juillet 1774
Je suis confus, Monsieur, et pénétré de reconnaissance.
Ce n'est point par vanité que mon cœur est si sensible à tout ce que vous avez bien voulu dire en ma faveur dans le mercure de Juillet, c'est qu'en éffet rien n'est plus précieux pour moi qu'une pareille marque d'amitié: ce qui ajoute encor à ce bienfait c'est ce noble et juste mépris qu'il vous sied si bien de témoigner à ces petits regratiers de la littérature, à cette canaille qui en barbouillant du papier pour vivre, ose avoir de l'amour propre, et qui juge avec tant d'insolence de ce qu'elle n'entend pas. Il est juste d'écarter à coups de fouet les chiens qui aboient sur notre passage.
J'aurais bien voulu lire les Barmecides de Mr de Laharpe. Il est le seul qui aproche du stile de Racine, et même d'assez près; mais il a encor plus d'ennemis que n'en eut Racine. Dieu veuille qu'il trouve un Louis 14! J'ai peur qu'il ne rencontre que des Pradons. Il a de plus un grand malheur, c'est d'être né dans un siècle dégoûté qui ne veut plus que des Drames et des double croches, et qui au fond ne sait ce qu'il veut. Le public est à table depuis quatre vingts ans; il boit enfin de mauvaise eau de vie sur la fin du repas. Les hommes de génie peuvent dire dans ce temps cy qu'ils sont nés mal à propos. Ce n'est pas pour vous que je parle ni pour Bertrand, car vous êtes nés tout deux pour honorer vôtre siècle, et pour nous défaire de la multitude d'insectes qui bourdonnent et qui voudraient piquer.
Je suis bien aise que l'insecte qui a voulu ressusciter le procez de Mr de Morangies ait été écrasé par la commission du conseil. Cet insecte était dangereux; il donnait au mensonge l'air de la vérité. J'ai lu une moitié de son mémoire qu'on m'a envoié. Il faut que le raporteur du conseil ait un esprit bien fin et bien juste pour avoir démêlé toutes les petites fourberies dont son mémoire atroce fourmille. Il me semble que M. De Sartine est très outragé dans ce mémoire sous le nom général de la police. Je ne sais rien de plus punissable.
On me console en m'assurant que les assassins du chevalier de La Barre ne reviendront point pour être nos tirans, en fesant semblant d'être les protecteurs du pauvre peuple, qui n'est que le sot peuple.
On parle de prochains changements dans le ministère, mais il est dit dans la sainte écriture, nolite audire profetas.
Adieu, Monsieur, conservez moi des bontés qui font la consolation de ma vie.
V.