5e juillet 1774
Je suis coupable envers vous, Monsieur, et d'autant plus coupable que pensant absolument comme vous je devais vous faire sur le champ mes remerciements, et vous envoier ma profession de foi.
Oui, Monsieur, j'aime mieux le Tartuffe et le Misantrope que les comédies nouvelles. Oui, j'ose préférer Racine à nos Drames, et j'aime mieux Roland et Armide que certains opera. Ce n'est pas parce que j'ai quatrevingt ans que je pense ainsi, car j'avais le même mauvais goût à quinze, et probablement je mourrai dans mon péché. Je vois que chez toutes les nations du monde les beaux arts n'ont qu'un temps de perfection, et après le siècle du génie tout dégénère à force d'esprit.
Je vous sais un très grand gré de combattre en faveur du bon goût, mais vous ne ramênerez pas au vin de Bourgogne des gens blazés qui s'enivrent de mauvaise eau de vie. Cecy soit dit entre nous, car il ne faut pas fâcher les ivrognes. Ils n'entendent ni raisoner ni raillerie.
On dit que vous avez un Drame qui s'appelle le Vindicatif, mais il n'y avait qu'à jouer Atrée, c'est le plus grand vindicatif qu'on ait jamais connu.
Amusez vous de ce qu'on vous donnera; le bon temps est passé, le meilleur vin est bu. Vous savez sans doute que dans l'Evangile on donnait toujours le plus mauvais vin au dessert.
Pardonnez moi encor une fois, Monsieur, de vous écrire si tard. Je suis le plus négligent des hommes. J'égare tous mes papiers, je suis comme le siècle, je ne sais ce que je fais; mais je sais bien ce que je dis en vous renouvellant tous les sentiments de ma très respectueuse estime.
Le vieux malade V.