1757-05-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Lévesque de Burigny.

Je ne puis trop vous remercier, monsieur, de votre présent.
Vous vous associez à la gloire d'Erasme et de Grotius en écrivant si bien leur histoire. On lira plus ce que vous dites d'eux que leurs ouvrages; il y a mille anecdotes dans ces deux vies, qui sont bien précieuses pour les gens de lettres. Ces deux hommes sont heureux d'être venus avant ce siècle; il nous faut aujourd'hui quelque chose d'un peu plus fort. Ils sont venus au commencement du repas; nous sommes ivres à présent: nous demandons du vin du Cap, et de l'eau des Barbades.

J'espère vous présenter dans un an, si je vis, cette histoire des mœurs, dont vous avez souffert l'esquisse. Je n'ai pas peint les docteurs assez ridicules, les hommes d'état assez méchants, et la nature humaine assez folle. Je me corrigerai. Je dirai moins de vérités triviales, et plus de vérités intéressantes. Je m'amuse à parcourir les petites-maisons de l'univers; il y a peut-être de la folie à cela, mais elle est instructive. L'histoire des dates, des généalogies, des villes prises et reprises, a son mérite, mais l'histoire des mœurs vaut mieux à mon gré. En tout cas j'écrirai sur les hommes, moins qu'on n'a écrit sur les insectes.

Je finis pour reprendre l'histoire de Grotius et pour avoir un nouveau plaisir. Conservez moi vos bontés, monsieur, et soyez persuadé de la tendre estime de votre &a

l'ermite Voltaire