à Ferney, 19 janr 1778
Je vous avais prévenu, monsieur.
Il est vrai que j'avais envoyé à des amis que je respecte, l'esquisse d'un ouvrage qui ne convenait guère à mon âge, mais qui après avoir été fini, et surtout corrigé par un travail assidu d'après les sages critiques de ces mêmes personnes dont l'amitié m'est si précieuse, aurait pu rendre les derniers jours qui me restent, un peu moins désagréables.
J'y travaillais nuit et jour malgré ma mauvaise santé, et j'espérais qu'à pâques j'aurais pu par ma docilité, et ma déférence à leurs lumières, rendre la pièce moins indigne de vous. Je me flattais même que vous pourriez jouer le rôle de Léonce qui n'est pas fatigant, et que vous auriez rendu très imposant par vos talents sublimes.
Les amis respectables dont je vous parle, n'ont fait lire à l'assemblée de messieurs vos camarades, cette esquisse encore informe que pour avoir vos avis et les leurs, pour m'en instruire, et pour que tout fût prêt à pâques.
Il convient sans doute qu'on remette la pièce et les rôles entre les mains de ceux qui ont bien voulu m'honorer de leur bienveillance dans cette occasion, et qui ont daigné entrer dans les détails de cette affaire.
Les papiers publics disent que vous vous remariez. Je vous en fais mon compliment très sincère; mais je doute de ce mariage, puisque vous n'avez pas daigné m'en instruire.
Si la chose était vraie, je pense que la fatigue de vos noces ne vous mettrait pas dans l'incapacité de jouer l'ermite Léonce qui n'a pas de ces passions qui ruinent la poitrine, et qui parle de la vertu d'une manière qui semble être assez dans votre goût. Si vous aviez donné ce rôle à un autre, je craindrais de m'y opposer, car je suis très sûr que vous auriez bien choisi.
J'ai toujours compté sur votre amitié depuis le jour où je vous ai connu dans votre jeunesse. Le temps a fortifié tous les sentiments qui m'attachent à vous. Vous savez trop combien made Denis et moi nous vous sommes dévoués pour que nous nous servions ici de la formule ordinaire qui n'a jamais été dictée par le cœur.
Le vieux Malade V.