A Ferney, le 20 de janvier [1778]
Mon cher ange, en voici bien d'une autre! Il faut pour le coup que je me jette entre les bras de votre providence, de votre sagesse et de cette constante amitié qui fait la consolation de ma vie.
Je suis trop jeune, je ne sais pas me conduire, à moins que je ne sois toujours à l'ombre de vos ailes.
J'ai cru qu'il était de mon devoir de vous envoyer la lettre que je reçois d'un de vos protégés, et la réponse que je lui fais. Je ne doute pas que vous n'engagiez votre ami m. de Thibouville à mettre sous ses pieds cet oubli de toutes les bienséances. Je lui mande qu'autrefois m. de Fériol, votre oncle l'ambassadeur à Constantinople, disait, s'il m'en souvient, qu' il n'y avait d'honneur ni à gagner ni à perdre avec les Turcs.
Si vous trouvez ma réponse à votre ancien protégé convenable et mesurée, puis je vous supplier de la lui faire tenir aussi bien que celles que j'ai dû écrire à m. Suard et à madame Vestris, et à un m. Monvel qu'on dit avoir beaucoup d'esprit, beaucoup de sensibilité et beaucoup de talents, avec très peu de poitrine?
Une chose encore bien importante pour moi, c'est de demander très humblement pardon à madame votre secrétaire de lui avoir fait écrire des choses qui certainement ne subsisteront pas, car tout ne sera fini que vers pâques; et c'est vers ce saint temps que je compte vous apparaître comme Lazare sortant de son tombeau.
Je vous conjure encore plus que jamais de faire retirer la copie qui est peutêtre au tripot, et les rôles qui peuvent être chez les tripoteurs et les tripoteuses. Je suis réellement perdu, s'il reste dans le monde le moindre lambeau de ces haillons. Vous sentez que la publicité de ces misères est très à craindre: elle arrêterait tout à coup un jeune homme dans le commencement de sa carrière; mais, soit au commencement, soit à la fin, il est certain que cela me ferait un tort irréparable.
Songez, mon divin ange, que je passe les jours et les nuits à remplir la tâche très difficile, mais très nécessaire, que vous m'avez donnée. Songez que je marche sur des charbons ardents. J'ose espérer que je ne me brûlerai pas la plante des pieds, parce que je vous invoquerai en subissant une épreuve qui surpasse mes forces.
Vous savez de plus combien il y avait de vers faibles à fortifier, de nuances à observer, d'expressions familières à supprimer, de petites choses à préparer pour les faire servir à de plus grandes; enfin combien l'esquisse était indigne de vous. Vous avez été trop bon; mais vous m'avez rendu difficile contre moi même. J'ai deux mois, au moins, par devant moi, et je vais les employer à vous plaire; mais suis je sûr de deux mois de ma vie?
Sub umbra alarum tuarum.