Je reçois Monsieur en arrivant de la campagne une lettre de vous qui est plus flatteuse pour moy que toutes les louanges dont vous me parlez.
Je regarde votre souvenir et celui de M. de Valincour comme la récompense de mon travail. Vous ne sçauriez croire combien je suis mortifié de ne pouvoir profiter sitôt de la partie que vous voulez bien me proposer. Je vais incessament à Richelieu et à Sully. Je vous assure que l'idée de pouvoir vous voir à Paris l'hiver prochain avec M. de Valincour va me rendre mes voiages plus agréables. J'ai toujours eu la plus forte envie du monde d'avoir l'honneur de vivre avec vous; je sens combien j'en ai besoin; j'ai abandonné depuis un tems les belles lettres, j'espère que vous me racomoderez avec elles et que votre conversation me sera aussi utile que vos ouvrages. A l’égard de Monsieur de Valincour je ne me flatte pas encore d'avoir fait sa conversion. Il ne me regarde que comme un téméraire, et le poème épique en françois lui paroît la chose impossible. Vous devriez pourtant l'avoir acoutumé à penser qu'on peut faire de bons poèmes en notre langue. Pour moi je sens que je paroîtrai devant luy avec bien de l'humilité. Cela n'empêche pas que je ne souhaitte passionément de le connaître. Je sçai combien il a de politesse, de goust et d’érudition et qu'il vaut encor plus par le cœur que par l'esprit; je fais votre portrait en faisant le sien. Soiez persuadé Monsieur que je suis trop admirateur des grands talens et de la vertu pour n’être pas toutte ma vie avec tous les sentimens d'estime et d'amitié que vous méritez votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
A Paris ce jeudy [?spring 1719]