183.., de Pierre-Joseph Proudhon à A M. MUIRON..

Monsieur, vous m'avez témoigné si souvent tant de bienveillance, d'intérêt, je peux dire d'amitié, que vous ne serez point surpris qu'à mon tour je vous témoigne un peu de reconnaissance, mais à ma façon. Vous savez que je m'occupe quelque peu de l'étude des langues : je viens d'imprimer un petit Essai de grammaire générale qui paraîtra à la suite des Eléments primitifs du célèbre Bergier. J'ai l'honneur de vous offrir l'un et l'autre.

Si je ne me flatte pas trop, j'espère que vous trouverez dans cet essai assez court, des choses toutes nouvelles et curieuses. Du moins, c'est le jugement qu'en ont déjà porté quelques personnes de mérite. Si vous avez du temps à perdre à une pareille lecture, je ne crois pas trop présumer de votre complaisance accoutumée pour espérer que vous ne m'épargnerez aucune observation. Puis, si vous jugez que la chose vaille la peine d'être communiquée au public, je me repose entièrement sur vous du soin de faire ou faire faire une petite annonce de notre nouvelle publication dans le journal dont je vous regarde toujours comme le modérateur. Seulement, je désirerais qu'au lieu de m'y faire connaître par mon propre et privé nom, il n'y eût de cité que le nom de l'imprimerie Lambert. Vous devinez aisément les motifs qui me font préférer pour le moment l'illustration de l'atelier dont je fais partie, à la mienne.

En ce moment, je me livre à des études assez étendues et très-importantes sur les langues. Si mon coup d'essai réussit, il ne doit pas s'ensuivre moins d'une révélation grammaticale, car, les principes admis, il faudra parcourir toute la série des conséquences. J'espère aller loin dans cette carrière que j'embrasse et dans laquelle j'ai cru apercevoir que, jusqu'à ce jour, on n'avait fait que des reconnaissances. Or, je crois me rappeler que vous m'aviez autrefois parlé d'un auteur distingué en ces matières. Ne pourrais-je, par votre obligeance, en avoir communication pour quelques jours. Je vais vite en besogne et, grâce à la méthode que je me suis faite et dont je recueille déjà les fruits, j'apprends toujours plus de choses dans la meilleure grammaire que l'auteur n'en soupçonnait.

Voilà bien des services demandés, et vous devez trouver mon petit cadeau fort intéressé. Mais l'amitié est inépuisable, et la franchise ne sait pas supposer la dissimulation.

Je suis toujours celui que vous avez connu rêvant, philosophant, réformant, et mieux encore, votre tout dévoué.

P.-J. PROUDHON.