Le 16 novembre 1827.
Je vois d'ici tous les chagrins, toutes les inquiétudes, toutes les tracasseries qui vous environnent, ou plutôt je les sens comme si j'étais là. Cela ne fait que redoubler mon désir de ce que vous avez cru possible un moment, et qui le redeviendra, j'espère l, Cependant, soumission parfaite là-dessus, ainsi que sur tout le reste. Si nous nous remuons trop dans la main de Dieu, il nous laisse tomber. Cela vaut bien la peine d'y prendre garde.
Je ne connais point M. Lacroix, mais je connais è loginquo M. l'abbé de Retz, et je ne suis pas encore revenu de l'étonnement que j'éprouvai en apprenant qu'on l'envoyait juger des procès à Rome. Il y a sans doute des grâces d'état, mais il faudra que la sienne soit forte. Enfin, il faut que notre pauvre France soit à peu près également bien représentée partout. Elle est en ce moment dans la crise très-vive des élections. Il est difficile d'en prévoir d'avance exactement le résultat; toutefois, je pense que le ministère aura encore la majorité, quoique le contraire m'étonnât peu, à raison de la haine qu'il inspire. Ce n'est plus de la haine seulement, c'est de la rage; , et cette rage commence à s'adresser directement au trône même. Vous connaissez l'usage des spectacles gratis le jour de la fête du roi ; on ne manque pas de composer pour ce jour-là des pièces analogues à la circonstance. Elles ont été, cette année, sifflées outrageusement à tous les théâtres. Notre position n'a rien d'agréable. On ne peut attendre désormais, si le ministère tombe, qu'un ministère libéral, n'importe les noms qu'on lira dans l'ordonnance. Si le ministère actuel se soutient, il faudra qu'il multiplie les infamies et les violences, lesquelles amèneront bientôt une épouvantable catastrophe. On entend aujourd'hui les plus tranquilles et les plus honnêtes gens du monde dire avec un grand sang-froid : « Nous allons encore essayer une fois, et, si cela ne réussit pas, nous nous révolterons ; » comme ils diraient de leur cuisinier : « Je le chasserai; s'il brûle le rôt encore une fois. » Cela fait naître bien des réflexions.
Je voudrais pour beaucoup que l'on me donnât une réponse nette aux questions suivantes :
Pourquoi l'idée de renverser un gouvernement qui déplaît parait-elle aussi simple aujourd'hui que celle de renvoyer un domestique dont on est mécontent?
Pourquoi n'y a-t-il pas maintenant l'ombre de déshonneur attaché à ce qu'on appelle « les crimes politiques, » quand il ne s'y mêle pas d'atrocités individuelles? J'observe que, là où il existe un pouvoir bien reconnu et dont la légitimité ne peu souffrir le plus léger doute, comme celui du Pape, par exemple, — il en est tout autrement. Qu'on s'avise quelque part de créer un anti-Pape, et l'on verra si la conscience catholique du monde entier hésite un seul instant. Il y a plus; les auteurs du schisme sauront très-parfaitement qu'ils n'ont pas fait un Pape. Je vois mille réponses que l'on se hâtera de faire à mes demandes ; mais, dans toutes ces réponses, je ne vois pas une solution.
Il est évident qu'il n'y a plus de conscience européenne en politique, ou que les données fondamentales ont changé.
L' événement de Navarin pourra changer bien d'autres choses. En attendant, il en fait dire de passablement singulières; et c'est encore nous, je veux dire notre gouvernement, qui en a la gloire.
Le Moniteur vient de nous apprendre que la destruction de la flotte turque était un bonheur tout particulier pour Mahmoud et pour Méhémet-Ali : pour Mahmoud, parce qu'il sentirait les douceurs de la paix; pour Méhémet-Ali, parce qu'il pourrait s'occuper plus tranquillement de civiliser l'Egypte. Ses vaisseaux lui donnaient des distractions, comme les journaux en donnent à nos ministres. Ces réflexions sont officielles; je jurerais même, s'il le fallait, qu'elles émanent directement du génie de M. de Damas. Après cela, dormons en paix.
On ne m'a rien mandé de Paris sur le pauvre L..... ; je doute même qu'il y soit, du moins publiquement. Vous me feriez grand plaisir de m'apprendre que ses nouvelles folies n'ont pas eu de suites désagréables pour vous.
Oserai-je vous prier de témoigner au P. Grady combien je suis sensible à ses attentions obligeantes? Je voudrais bien qu'il me fut possible de suivre son conseil; et il y a longtemps que je me le serais donné moi-même, si je ne croyais à un ordre opposé. Du reste, Dieu me fait la grâce de m'accommoder à merveille de ma vie d'ermite. Il n'y a que le cœur qui souffre de certaines séparations. Mais c'est le sacrifice; il faut l'accomplir.