1827-11-11, de Félicité de Lamennais à Pierre Antoine Berryer.

En voilà-t-il, mon cher ami? Est-ce assez pour une fois? soixante-quinze seigneuries nouvelles1 ! J'ai le bonheur d'en connaître assez particulièrement quelques-unes8, et je répondrais d'elles corps pour corps : âme pour âme, c'est une autre affaire. Ce qui m'afflige là dedans, au milieu de la joie publique qui sera grande sans doute, c'est l'oubli où le roi laisse des services tels que ceux de notre ami\ Je m'y attendais, et je le lui ai dit, mais cela ne me console pas. Du reste je pense qu'il saura se mettre, ou plutôt rester au-dessus de l'ingratitude qui fut de tous temps, comme le marque Machiavel, « la vertu favorite des princes. » Et puis, que perd-il? J'avoue qu'en ce genre, je ne connais ni le désir ni le regret.

Enfin nos bien-aimés ministres donnent huit jours à la France pour trouver 400 hommes en état de gouverner. Cela fait honneur au pays. Je doute qu'il y en. ait un second où l'on osât seulement supposer que les législateurs y fussent aussi communs et la réflexion aussi prompte1. Nous verrons le résultat; j'en suis cufleux. Il n'y a pas d'ailleurs à craindre pour la Royauté, comme je viens de l'apprendre en lisant la brochure de M. de Bonald sur l'Opposition et la liberté de la presse. Tout serait à merveille, si l'on ne donnait pas de « distractions » aux- ministres. Mais comment voulez-vous qu'ils conservent « leur présence d'esprit, » tant qu'on les fatiguera de droite et de gauche par mille propos qui étourdiraient des têtes encore plus fortes, s'il est possible? N'en déplaise au noble Pair, je ne crois pas du tout que ce soit « la présence d'esprit » qui manque à nos ministres; mais c'est déjà beaucoup d'avoir .avoué qu'il leur manque quelque chose. Du reste leur apologie ne porte pas bonheur; et pour sa réputation, s'il y tient, l'apologiste aurait mieux fait de continuer à dormir son sommeil. Son livre, car c'en est un presque, contient pourtant quelques traits àssez fins qui n'auront pas réjooi M. de Chateaubriand. Cette petite guerre est bien misérable. En somme, nous nous apetissons furieusement. Il en résulte qu'on ne peut plus se fâcher contre cette pauvre société idiote, qui s'en va à la Morgue en passant par. la Salpêtrière. J'ai vu hier mon frère un moment, c'est-à-dire trois ou quatre heures. Nous avons parlé de vous, cher, et je suis chargé de vous le dire, en vous laissant deviner ce qui a été dit. Ce ne sera pas difficile à votre cœur aimant et si digne d'être aimé.

J'ai été obligé de suspendre le travail dont vous avez con. naissance) pour arranger les petits ouvrages de piété dont le jugement me laisse la disposition. Cela me prendra plusieurs mois que je regrette. Je travaille maintenant à de nouvelles Réflexions pour l'Imitation in-52 que MM. Belin veulent imprimer. Je trouve toujours que ces Réflexions jurent par leur contraste avec l'inimitable naïveté du texte. Il en faut, cependant, puisqu'il y en a dans les autres éditions. On en aura donc, et tant pis pour ceux qui les ont voulues. Vous savez, cher, comment je suis à vous.