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Le 28 décembre 1827.
Votre lettre m'a tout à la fois effrayé et rassuré sur l'accident arrivé à M. de Senfft. Grâce à Dieu, nous n avons aucune suite fâcheuse à craindre. C'est une chose terrible que ces escaliers où l'on n'y voit point, et pourtant tous nos sages gouvernements d'Europe passent leur temps à les monter et à les descendre à qui mieux mieux; aussi bronchent-ils parfois, et pesamment : mais enfin c'est leur affaire, et, si cela leur plaît, pourquoi me fâcherais-je? Qu 'est-ce que cela me fait, à moi? Il paraît que Mahmoud, à qui je croyais plus de tête, se dispose à céder aux trois Puissances. Cela n'empêche pas que la dernière heure de son empire ne soit venue. Les difficultés du partage peuvent encore lui laisser quelque ombre d'existence pendant quelque temps; mais la force des choses amènera bientôt sa dissolution inévitable. Bien d'autres événements se préparent. Toute la prudence des Cabinets, toute leur politique consiste à éluder les difficultés. Cependant elles restent, elles s'accumulent, et lorsque le temps viendra prochainement les résoudre toutes ensemble, on verra un beau tapage. Dans tout cela, M. de Villèle ne voit que son portefeuille sur lequel il a résolu de mourir. Il le serre entre ses mains tremblantes, et sans foi dans l'avenir, sans espérance, il s'acharne sur le pouvoir qui va lui échapper, et s 'en repaît avec une sorte d amour convulsif. Je n'ai point lu Foscarini. De qui est-ce t? La littérature italienne tend à prendre dans le Nord une direction qui pourra la renouveler. Le Midi languit encore, mais le mouvement gagnera, et si, au lieu de s'en emparer, on essaye de l'arrêter par la force, il deviendra souverainement hostile et dangereux. Une des choses qui m'étonnent le plus, c'est l'impuissance où les gouvernements paraissent être partout de -comprendre leurs vrais intérêts. J'ai voulu lire Jacopo Ortiz, dont l'auteur! vient de mourir près de Londres. Ce n'est qu'une copie de Werther, genre que je n'aime pas, et qui appartient fondamentalement à un système d'idées destructives. Monli préférait le Purgatoire aux deux autres parties du grand poëme de Dante. Les derniers chants du Paradis me paraissent encore supérieurs. C'est quelque chose de ravissant. Je vous recommande aussi Pétrarque; il est quelquefois obscur, recherché, alambiqué ; mais le reste est d'une poésie merveilleusement belle et touchante. Je lis en ce moment Villani. Il a la simplicité de nos vieux Mémoires, mais il n'en a pas la grâce, l'esprit naïf et le charme. Il est singulier que la prose italienne n'ait jamais pu prendre, dans aucun ouvrage, un caractère original et marqué. Machiavel lui-même est terne, sans éloquence, sans force et sans imagination de style. Dans un tout autre genre, le P. Liguori, si estimé pour son élégance toscane, est encore plus faible. Je le trouve ennuyeux à périr. En parlant des prosateurs, j'oubliais Boccace; mais c'est qu'à peine peut-on le nommer, et son mérite, d'ailleurs, tient plus à la pureté du langage, et à une sorte de naturel dans le dialogue, — mais naturel vulgaire et commun, — qu'à aucune qualité élevée.
Vous ne me dites rien de votre santé, mais puisque vous êtes gaie, j'en conclus qu'elle est meilleure, et je vous conjure de bien ménager ce mieux-là. Pour moi, j'ai de nouveau perdu le sommeil, qui a été remplacé par une petite fièvre, laquelle m'agite une partie de la nuit. Qu'y faire? Prendre patience; voilà le meilleur remède. J'ai voulu dire la messe de minuit; à la troisième je me trouvai mal, et je craignis bien de ne pouvoir l'achever. Heureusement j'en vins à bout, et cela n'a pas eu de suite.
Recevez, je vous prie, tous les vœux que je forme pour votre bonheur à la fin de cette triste année. Je ne sais ce que sera la prochaine ; probablement pire encore : mais elle peut être bien précieuse pour nous, si nous l'employons en vue de Dieu, et si elle sert à nous mériter le ciel. Tout est là-dedans, et hors de là je ne vois pas même où placer un désir. Adieu, je vous porte tous les jours au saint autel, et je vous demande, en retour, quelque petite part dans vos prières.