Mâcon, 14 septembre 1809.
As-tu lu, mon cher ami, le Voyage de l'oncle de Vignet autour de sa chambre? C'est une des plus jolies plaisanteries en prose qu'on puisse lire. Les deux interlocuteurs sont la Bête et l'Autre; la Bête est le corps, la passion, et l'Autre la raison, l'âme, l'esprit et le jugement. Ils ont entre eux des dialogues fort plaisants.
Ce matin, il y avait chez moi une dispute assez semblable à la leur. Ma Bête me disait donc : Tu vois que ton ami t'attend pour continuer un petit voyage charmant et très-peu coûteux. Que ne pars-tu tout de suite pour Aix? tu y trouverais bonne compagnie, tu n'y passerais que peu de jours, et de là tu ferais une légère excursion en Savoie. Quel plaisir tu aurais de courir les champs à pied, avec un ami d'humeur pareille à la tienne ! Il fait si beau ! Cette occasion peut ne revenir jamais, lu aurais maintenant de quoi fournir largement à ta dépense de cette course. Profite toujours du moment présent! Demain le temps, l'argent, la circonstance, la volonté, la liberté le manqueront. Pars ! J'étais fort tenté par les raisons de ma Bête et je me levai sur mon séant (car la scène est dans mon lit) pour préparer mon paquet, quant l'Autre, indignée de ma faiblesse, me prit par le bras et me força à me recoucher. — Animal, brute, me disaitelle (car elle est polie), comment peux-tu sacrifier six mois d'étude pour cet hiver à quinze jours d'une course où tu ne trouverais que du plaisir? — Que du plaisir, s'écria ma Bête, que du plaisir ! Que me faut-il donc de plus, madame la raisonneuse, que cherchez-vous donc de plus dans ce monde, que prétendez-vous?— A quoi je prétends, répliqua l'Autre, vous le saurez un jour, ma soeur, vous le saurez, mais vous êtes encore trop folle, trop indiscrète, pour vous le confier. Il vous suffit de vous taire maintenant et de me laisser conduire à ma fantaise monsieur que voilà, et qui n'est déjà que trop porté à me combattre. Puis, se tournant vers moi : Considérez, me dit-elle poliment, que si vous mangez à présent le peu d'argent que vous avez, vous serez forcé de passer cet hiver dans vos tristes foyers !
J'en étais là de ma lettre, mon cher ami, quand on est venu me chercher pour aller faire une ennuyeuse visite. Mon dialogue reste là. Au moment que je le finissais, un jeune homme dont je t'ai déjà parlé est venu me proposer d'aller demain en Bourbonnais. Pour toute réponse, je lui ai tu cette lettre. Reviens, amuse-toi et écris-moi.
ALPH. DE LAMARTINE.