Samedi à midi, Florence.
Comment te portes-tu, mon ami? Quel effet a produit l'ordonnance de M. Lupi ? Commence par me répondre à ces deux questions-là, et adresse ta lettre poste restante à Genève ; car je crois que je m'arrêterai là, si je ne trouve pas en route de réponse de mon père. A mesure que je me rapproche, on me dit qu'il serait beaucoup plus prudent de m'éloigner. Mon père pense peut-être de même. Enfin que sait-on? Je vais peut-être retourner à Rome, tu sauras cela dans dix ou douze jours.
Je trouve une place, moi troisième, pour aller dans une bonne voiture à frais communs jusqu'à Milan avec mon ancien compagnon de Naples. J'en profite. Nous devions partir cette nuit pour Bologne, mais on vient de me faire dire que ce sera seulement pour demain. Dieu en soit loué ! car je meurs de fatigue et j'ai même un peu de fièvre nerveuse. Ce sera du moins une bonne nuit entre deux draps. Autant de gagné !
Les personnes que j'ai vues ici ce matin m'ont fait peur : elles m'ont trouvé changé, maigre et jaune. Mais aussi, quel air je respire depuis hier ! comme il est pur et de bon goût en comparaison de Rome et même de Naples ! Vraiment la vallée de Florence m'a ravi pour la première fois.
Tu ne saurais croire combien je suis fâché que tu sois dans l'air épais de Rome avec une fièvre comme la tienne. Prends donc du quinquina, je le répéterai cela comme l'Allez donc à la messe de Démosthènes.
Sors-tu, fais-tu quelques connaissances ? M. de Fréminville t'a-t-il mené chez M. de Tournon, ou restes-tu tristement à casa ? Ne sors guère à l'humidité du soir, parce qu'enfin il faut en finir.
Je m'en vais dîner dehors, et je reviendrai me coucher de bonne heure. Adieu. J'embrasse Fréminville et toi, de tout mon coeur. Je t'écrirai un mot de Milan. Les finances ne sont pas encore trop altérées.
Adieu, ton ami,
A. DE L.