1811-10-22, de Alphonse de Lamartine à Aymon de Virieu.

Voilà sept ou huit jours que je suis à Florence. J'ai revu avec M. de Fréminville tout ce que j'avais déjà vu. Je m'y trouve dans ce moment-ci avec sept ou huit personnes de ma connaissance, logées au même hôtel. Les devoirs de sa charge ont déjà rappelé M. de Fréminville à Livourne, et moi je compte partir après-demain soir avec le courrier de Rome, malgré tout ce qu'on dit des dangers de la route, des vols, des assassinats, etc., et malgré les instances de mes compagnons de voyage qui voudraient me ramener avec eux. Je le voudrais bien aussi moi-même, mais qui sait quand il me serait possible de revenir ensuite à Rome ou à Naples qu'il faut absolument que je voie! qui sait ce qui m'attend à mon retour! Partons donc et confions-nous à notre destinée qui en sait plus long que nous. Et toi, mon ami, comment vas-tu ? Es-tu dehors enfin de cette maudite fièvre qui est venue rompre si mal à propos le plus joli projet que nous ayons pu faire de notre vie, et me priver de l'unique consolation que je puisse espérer dans mes maux trop réels ? Es-tu de retour à Lemps ? Y passes-tu l'hiver ou espères-tu encore venir l'achever en Italie? Lors même que tu viendrais à présent, nous aurions peu de jours à passer ensemble; l'argent me manque, et je vis presque déjà sur mon crédit.

Nous sommes toujours contrariés ! Le sort n'est point levé, comme tu le disais aux Charmettes; je n'espère même plus guère le voir levé pour nous. Nous apprenons à nos dépens le grand art. de la résignation. Il nous sera utile peut-être autant à l'un qu'à l'autre, car qui de nous deux peut dire qu'il n'a pas aussi son calice à avaler jusqu'à la lie ? J'en ai eu un cruel ces. jours-ci ! Si tu étais là, je le le dirais, mais cela ne s'écrit pas. Malheureusement je n'ai pas été patient, et je me suis révolté contre le sort, violemment. Il en arrivera ce qu'il pourra!

Florence me plaît davantage que la première fois. J'ai trouvé à la galerie de nouvelles beautés.

J'ai admiré l'intérieur du palais Pitti que je ne connaissais pas encore. On me dit que Rome est un désert en comparaison de tout ce que j'ai vu jusqu'à présent. Pour Naples, c'est, dit-on, un paradis. Que ne puis-je y passer l'hiver et t'y attendre ! J'ai fait ici une ou deux connaissances qui me seront utiles à Rome, si je suis d'humeur à m'amuser.

As-tu des nouvelles de Guichard? Je suis vraiment en peine de lui. Si tu es à Lemps, tâche de le voir et de lui faire quelques reproches sur son silence avec nous : j'ai beau lui écrire, il ne me répond plus, et Dieu sait si je le mérite !

M. de Fréminville m'a comblé d'honnêtetés de toute espèce. Je te remercie de ta recommandation près de lui. Nous nous convenons beaucoup pour parler morale et métaphysique, mais nous sommes peu d'accord sur la pratique.

Adieu, je vais dîner avec un enragé musicien, compositeur, auteur, etc. Le temps me presse et voici l'heure de la poste. Je t'embrasse de tout mon coeur et attends impatiemment de tes nouvelles à Rome.

AL. DE LAMARTINE.

Chez M. Camille Bertarelli, banquier à Rome.