[p. 2] Champrosay, mercredi matin.
Cher ami,
Je te réponds aussi tôt que possible et n’ai pas besoin de m’étendre sur la part que je prends au malheur de notre ami ; mais pourquoi dans les trois premières lignes de ta lettre ne m’expliques-tu pas nettement ce qui lui arrive et la somme qu’il lui faudrait ? Elle ne peut être qu’effrayante, puisque tu as l’air de douter que la vente de la rente de ta sœur puisse le sauver. En second lieu, même pour trouver une médiocre somme dans ce moment-ci, il faudrait se résigner à un sacrifice énorme et en pure perte.
Permets-moi de te demander si en m’apprenant que Soulier était malheureux au point où il paraît être, sans me dire précisément ce que c’est, tu as [p. 3] craint que l’exposé clair et net de sa position ne m’effrayât à l’avance. Pour moi, je te dirai franchement que l’entraînement bien naturel de sa vue et de la tienne est fait pour m’ôter tout sang-froid dans une résolution d’où dépendent des intérêts qui ont; à notre âge, une gravité extrême. Permets-moi de te dire aussi qu’en engageant ta sœur à disposer des ressources qui lui restent, tu prends une responsabilité considérable, mais dont je te laisse juge.
Réponds-moi donc de suite et explique-moi tout. Je suis doublement désespéré et du malheur de notre ami et de l’impossibilité probable de venir à son aide.
Je t’embrasse,
Eug. Delacroix