[p. 2] Champrosay, vendredi
Cher ami,
Je reçois ta lettre et m’empresse de te prier de venir (je crois que tu le pourras dimanche auquel nous touchons). J’ai fait une entreprise très forte 1 et une journée de moins me serait très préjudiciable. Les fleurs s’en vont et à la première gelée je serai sans modèles. Prends le convoi qui part de la gare à 3 heures précises ; ainsi j’aurai eu le temps de faire ma journée le matin et nous aurons pour causer jusqu’à 9 heures du soir. Tu prendras la fortune du pot et nous parlerons de nous et de notre pauvre naufragé 2.
Sa situation, que je devine, me touche excessivement : c’est mon vieux compagnon, mais pour cela même, je le connais bien. Prêter à lui ! J’aimerais autant prêter à l’Achéron ou à l’Océan. Tu verras, cher, que je m’échine depuis un mois pour accrocher quelque mille francs qui boucheront les trous que la République fait à mes minces intérêts. Primo vivere.
Je t’embrasse et je t’attends dimanche avec impatience.
Eug. Delacroix