[p. 1] Champrosay, ce 8 juillet
Chère amie,
Je comptais depuis quelques jours revenir au lieu de vous écrire, mais non seulement je reste encore quelques jours, séduit par le beau temps et forcé de finir deux ou trois petits tableaux1, mais encore je suis sur le point d’aller passer chez Berryer trois ou quatre jours, dans l’impossibilité probable où je me trouverai sans doute d’y aller plus tard2. Voilà bien du libertinage. On ne peut se faire une idée de la beauté de la campagne dans ce moment, c’est une compensation aux longs jours de mauvais temps que j’ai eus dans le commencement de mon séjour. Je vous applaudis fort d’aller faire un voyage3. Vous devez [p. 2] en avoir grand besoin après vos tristes émotions4. Je n’ai pu résister à reculer encore mes grands travaux 5 et à me priver de quelques distractions. La vie est si triste en général qu’il est bien hardi de reculer indéfiniment les rares occasions d’avoir quelque plaisir. J’ai ici de la société pour me distraire les soirs de ma solitude : malheureusement ces dames sont arrivées ici tout dernièrement, de sorte que je ne jouirai pas longtemps du voisinage6.
Je calcule que je serai à Paris vers le 18. Aussitôt mon retour, j’irai vous voir si vous n’êtes pas encore partie. Si vous vous absentiez, vous m’écririez et me donneriez votre adresse.
Adieu, chère, mille bonnes amitiés.
E. Delacroix