1844-07-11, de  Delacroix, Eugène à  Forget, Joséphine de.

Chère bonne amie,

je m’empresse de t’accuser réception des charmantes fleurs qui sont arrivées en bon état hier soir et ont été à l’instant même replantées et arrosées à l’instant par un homme de l’art. Ce matin, pendant que je t’écris ce mot à la hâte pour ne pas manquer l’heure de la poste, mon artiste est en train de palisser et d’attacher les petites branches pour faire grimper le tout le long de mes murs. C’est donc toi, chère bonne, à qui je devrai l’ornement de mes murs, l’intention s’entend, car je ne prétends pas que tu te mettes ainsi en frais pour ma demeure et que tu auras la bonté de permettre que je te tienne compte de tout cela. Ce sont tes [p. 2] soins et ta bonté de courir pour m’avoir tout cela que je ne pourrai jamais reconnaître. Le beurre est encore très bon et je m’applaudis bien du parti que j’ai pris. Les autres fleurs vont très bien. Rien n’est mort et tu jugeras d’après la petite fleur de musc que je t’envoie que tout cela est en bon état. Je me fais une fête d’avoir ton portrait2 qui m’aurait été si nécessaire ici pour tromper l’ennui de l’absence. J’espère que ton artiste te saisira au vol et comme il faut. Ce sont tes yeux qu’il me faut. Ma maudite ouvrière n’en finit pas : elle m’empêche aussi de faire venir M. Soulier qui devait venir passer un jour ou deux avec moi, à cause [p. 3] de l’impossibilité où je serais de le coucher3. Je me hâte, bon amour, pour que tu n’attendes pas un jour entier avant d’avoir ceci, j’espère que tu l’auras demain dans la journée. Tu y trouveras tous mes vœux pour te revoir et te serrer contre mon cœur. Je suis bien heureux aussi de ce que tu me dis de ta santé.

Mille tendres tendresses, bonne chérie.