[p. 1] Dimanche matin
Chère amie,
je n’ai trouvé qu’hier soir en rentrant la jolie caisse d’ognons : je vous en remercie bien et vais en avoir bien soin. Je vais la mettre à la fenêtre par le temps qui se prépare aujourd’hui. J’ai attrapé un commencement de rhume qui me fatigue beaucoup la gorge et je me soigne de mon mieux, c’est-à-dire, je vais commencer à me soigner car hier encore j’étais sur mon échafaud 1 jusqu’à 5 heures presque, et je crois que c’est là que j’ai attrapé ce froid il y a trois ou quatre jours. Voilà pourquoi je n’ai pas été voir le portrait2 : le jeune homme qui se chargera de le rentoiler tient maintenant un tableau de Rubens très important pour la même opération : il ne sera visible que dans quelques jours parce que jusqu’à la fin de ladite opération le tableau ne peut se juger, étant entièrement [p. 2] couvert de papier. Je jugerai alors tout à fait du degré de confiance qu’on dit avoir dans son talent. Dites cela à Mme de Querelles, je vous prie.
Hier, recevant en rentrant le petit mot que vous avez envoyé avec les ognons, j’étais tellement accablé de fatigue que je n’aurais pu songer à me remuer. À propos, j’ai trouvé un ami dans le conseil de discipline et j’aurai probablement à m’en applaudir par la suite3. Pour le moment, je suis exempté jusqu’au mois de mai. Voilà tous mes maux et toutes mes distractions depuis que je vous ai vue, bonne et chère amie : j’espère bien être assez heureux pour vous voir demain et vous dire des yeux et de la voix tout ce que je pourrai de plus tendre.
Encore mille tendresses.