1853-10-23, de  Delacroix, Eugène à  Forget, Joséphine de.

Voilà, j’espère, de fières vacances pour un homme si occupé que moi. Je vous écris quelques mots, chère amie, pour vous dire que je ne suis point mort. Je me porte au contraire assez bien et quitterai encore avec regret le séjour de la campagne 1. Je me dis pour m’excuser de rester si longtemps que je ne veux pas revenir sans avoir fini trois petits tableaux que j’avais emportés2, mais en réalité, le repos au milieu des arbres et de toute cette nature me séduit infiniment. Vous ne croiriez pas que je n’ai pas un moment d’ennui. Je travaille tous les matins jusqu’à 2 ou trois heures et je fais alors une grande promenade jusqu’à dîner. [p. 2] Quand je ne vais pas le soir chez les Barbier , les Villot 3, et ce qui m’arrive rarement à cause de la fatigue de la journée, je prends aussi un peu l’air avant de me coucher quand le temps n’est pas abominable, et il est toujours plus supportable à la campagne. J’ai vu les Halévy deux fois4 : ils partent déjà ; ce sont des mondains qui ont besoin de faire leur partie tous les soirs. Quant à Mme Barbier 5, elle est plus florissante que jamais, mais je deviens un peu rococo pour tout cela.

Je serai de retour au milieu de la semaine prochaine6 et j’irai vous voir dans votre villa de la rue de La Rochefoucauld. Vous avez des [p. 3] fleurs et des arbres, mais vous n’avez pas un air comme celui qu’on respire ici et la tranquillité la plus profonde.

Je vous embrasse bien, chère amie, en attendant le plaisir de vous voir.