1849-06-14, de  Delacroix, Eugène à  Forget, Joséphine de.
[p. 1] Madame de Forget, rue de La Rochefoucauld, 19, Paris

Chère amie,

Je reçois ta bonne lettre où tu me donnes des nouvelles de ce qui se passe à Paris et je t’en remercie beaucoup car ici on ne savait ce qui se passe et on parlait de barricades1. Ma santé est excellente et je jouis beaucoup de ce changement de température. Il n’y a pas de malades ici, à moins qu’on ne mette sur ce compte tous les gens qui meurent qui sont toujours plus ou moins convaincus de mourir du choléra, ce qui n’est nullement, et encore, je parle de trois ou quatre lieues à la ronde. Je travaille, ce qui m’empêche de m’ennuyer2. J’ai revu les Villot parce que M. Villot est venu passer ici quelque temps pour se remettre un peu. Il est très souffrant et cette épidémie influe [p. 3] beaucoup sur lui. Sa société m’est fort agréable et il vient me tenir souvent compagnie car il est trop souffrant pour marcher beaucoup3. Que je suis heureux, chère amie, que tu sois bien au milieu de cette désolation ; je suis ravi aussi que tes amis soient bien. Dis à M. Laity 4 les deux adresses suivantes5 :

le meilleur des deux, mais qui est d’une cherté affreuse, est Brown rue Vivienne 16

l’autre, moins cher et prenant bien le pied et pas mal sous tous les rapports, Rapp rue Feydeau 19.

Tous deux Allemands, comme tous les diables.

Ne t’inquiète pas, bonne amie, j’ai un bon moral. Si les affaires [p. 4] se calment, le reste, j’espère, ira bien. Ces Montagnards ont été d’une violence bien coupable : les malheureux ont l’air d’ignorer qu’ils seront les premiers sacrifiés par les gens qui les suivent.

Adieu, bonne chérie que j’embrasse mille fois. Je te remercie de tes offres mais je n’ai besoin de rien. Je me tiens encore ici pour laisser calmer encore cette maladie et puis j’irai t’embrasser avec bonheur.