1848-05, de  Delacroix, Eugène à  Forget, Joséphine de.

Chère amie,

tu ne reconnais guère mes missives ordinaires à l’enveloppe que tu vois ici, c’est qu’en t’écrivant, je te demande le service de faire porter, sitôt que tu l’auras reçue, par un commissionnaire connu de ta maison la lettre ci-jointe au ministre des Travaux publics. Je l’ai trouvée ici en revenant et j’aime mieux qu’il la reçoive comme de Paris 2. Maintenant, je te parlerai de ce qui m’occupe encore, c’est-à-dire le plaisir que j’ai eu à passer avec toi de si bons moments : cela m’a doucement accompagné pendant mon petit voyage, je dirais même réchauffé, car je me trouvais seul dans la voiture où j’étais et on sentait [p. 2]un froid piquant. En vérité nous avons un triste climat : nous touchons aux jours les plus chauds, car c’est certainement au mois de juin que j’ai toujours le plus souffert de la chaleur, et c’est dans quinze jours à peine que nous allons nous y trouver transportés sans la moindre transition. Hier, j’ai fait une grande promenade dans la forêt et je n’avais chaud que dans les moments où il faisait soleil.

Tu me donneras de tes nouvelles, chère amie, et tu me diras si tu penses encore à notre entrevue. Tu me diras en gros ce qui se passe, car je m’interdis décidément les journaux : ils me fatiguent les yeux horriblement. Voilà ce matin le temps qui se met à la pluie : cela[p. 3] attriste un peu tout ce que je vois mais je vis encore avec toi et j’ai du plaisir encore à t’envoyer mes pensées.

Adieu donc, bonne chérie, reçois, en attendant le plaisir d’être ensemble, mes tendresses de cœur.

Je crois que le ministère des Travaux publics est rue Saint-Dominique, près la rue Bellechasse.

Il faut encore que je te demande le service de mettre sous une enveloppe pareille à celle-ci la lettre au ministre et tu écriras dessus de ta belle écriture à la Voltaire

À Monsieur le Ministre des Travaux publics, rue St Dominique

et cacheter.