183., de Pierre-Joseph Proudhon à Just Muiron.

Monsieur Muiron, je suis vraiment honteux de n'aller vous voir que lorsque j'ai besoin de vous, d'autant plus que je sens encore le reproche assez piquant que vous m'avez fait de mon manque d'exactitude. Il semble que vous ne m'ayez pas encore jugé. Cependant, vous ne devriez pas avoir de peine à comprendre que je suis si nouveau dans la société et la civilisation, que je ne connais encore du monde que les maisons et les rues. Oui, j'éprouve encore cette sotte honte d'un berger que l'on veut faire entrer dans un salon. Je crains, comme des bêtes effrayantes, les visages que je n'ai jamais vus, je recule toujours à voir les gens même qui peuvent m'être utiles et me vouloir du bien ; je n'ai de présence d'esprit et d'aplomb que lorsque je me vois seul et que c'est ma plume qui parle. Mérite fort commun, mais que voulez-vous?, je sais que je ne brille ni par les dehors, ni par l'élocution; j'aime mieux n'être vu ni connu de personne.

Je me fais un plaisir de vous dire que l'on me mitonne un article dans le National pour je ne sais quand.

Je sais déjà que le fort de la discussion roulera sur ces singulières conséquences que je me suis avisé de prétendre, que l'on déduirait un jour et d'une manière démonstrative, de la comparaison des langues, savoir : l'époque à laquelle le genre humain a dû commencer à parler, par conséquent l'âge de l'humanité, l'unité des races humaines, et le lieu où fut placé le berceau du genre humain. Il est vrai que personne, avant moi, ne s'avisa jamais d'idées aussi extraordinaires, je puis le dire; mais j'espère, quand la bataille se donnera, réduire les incrédules au silence. Il y a des gens qui n'admettraient pas les vérités mathématiques, s'ils croyaient qu'elles pussent donner raison à quelque partie des traditions sociales universelles ou de la Genèse de Moïse. Je sais que cette philosophie mesquine n'est pas la vôtre, et je crois que le temps est bien venu où la raison ne doit reculer devant la conséquence d'aucun principe certain et bien constaté. Que penserait-on de moi, si j'allais émettre sans commentaire cette proposition : L'étude du langage établira un jour que tous les articles du Code de la loi naturelle se réduisent à SEPT, qui sont comme les sept sens ou facultés de la nature morale ; qu'il n'y en a ni plus ni moins, qu'il est impossible d'en imaginer davantage, et que cette loi de la nature consistant en sept articles, organisés entre eux comme la flûte de Pau aux sept tuyaux, n'a jamais pu être découverte par l'homme, mais qu'elle lui a été enseignée par une révélation immédiate! Que dirait-on, si je soutenais qu'un jour l'étude du langage et de la physiologie nous rapprochera tellement de Dieu, que nous croirons le voir et le toucher? Les matérialistes qui nient tout ce qui n'est pas rapport, machine, équilibre de fluide ou de poids. les prêtres, qui croient avoir seuls la science de Dieu et de l'homme, tous ces gens-là et bien d'autres crieront à la folie et au scandale.

Ou je suis fou, complètement fou, ou je vois certainement des choses dont la conséquence nécessaire, immédiate, infaillible, sera le changement de la société,

Qui donnerait à l'axe terrestre 10 degrés d'inclinaison de plus, changerait toute l'économie des saisons et des climats.

Je ne m'aventurerais pas à vous en dire tant, M. Muiron, si je n'étais bien sûr que vos croyances particulières comprendront les miennes, et que vos propres découvertes vous feront croire à la possibilité d'en faire encore.

Voici le petit service que j'ai à vous demander : Je désire connaître l'arrêté de M. le préfet concernant la réparation, l'entretien ou l'ouverture des chemins vicinaux. Quels sont ceux que l'on doit faire ou seulement réparer dans la commune de Cordiron, paroisse de Bourgille-lès-Marnay, canton d'Audeux?

L'un de vos fidèles,

P.-J. PROUDHON.