1778-03-08, de Marie Anne de Vichy-Chamrond, marquise Du Deffand à Horace Walpole, 4th earl of Orford.

Ne vous attendez plus à des relations sur Voltaire; il y a quinze jours que je ne l'ai vu, et je compte ne le revoir que quand il viendra chez moi, ou qu'il me fera prier de venir chez lui; il se porte bien; il s'est tiré de son accident comme s'il n'avait que trente ans.
Il est uniquement occupé de sa tragédie; on assure qu'on la jouera de demain en huit, qui sera le 16. Si elle n'a pas de succès, il en mourra; mais je suis persuadée, quelque mauvaise qu'elle puisse être, qu'elle sera applaudie; ce n'est pas de la considération qu'il inspire aujourd'hui, c'est un culte qu'on croit lui devoir; il y a cependant quelques sacrilèges. Vous ai-je mandé qu'il a reçu pendant sa maladie un paquet par la petite poste, qui renfermait un libelle imprimé de soixante pages, le plus outrageant, et qui lui causa la plus violente colère? Ses complaisants voulurent le lui faire jeter au feu avant d'en achever la lecture, qu'il fit tout seul; il dit qu'il voulait le montrer à d'Alembert; je n'ai vu personne à qui il l'ait communiqué. Ce qui est extraordinaire, c'est que l'auteur ou les auteurs n'en fassent part à personne.

Je ne suis point de votre avis sur la visite qu'il a reçue de l'abbé, il me semble qu'il a bien fait; il l'a appelé dans son accident, il est censé s'être confessé; l'abbé lui a demandé une déclaration conçue à peu près dans ces termes:

Je mourrai dans la religion où je suis né; je respecte l'église; je désavoue et je me repens du scandale que j'ai pu donner.

Le confesseur, son neveu l'abbé Mignot, et un autre homme qui était présent, et lui Voltaire, ont signé cette déclaration. Le curé était venu pour le voir; mais comme Tronchin lui avait défendu de parler, il ne le reçut point, mais il lui écrivit une lettre très honnête, à laquelle le curé a répondu sur le même ton, mais avec une abondance de lieux communs dont Voltaire a été très fatigué. Voilà la fin de mes relations; je ne les reprendrai qu'en cas de nouvel événement; ce que je hais le plus, c'est de raconter; vous le comprendrez aisément, car vous n'aimez pas non plus faire des narrations….

Nous avons ici m. et mme Schuwalof, neveu de celui que vous connaissez; la nièce est indolente et insipide, le neveu une sorte de bel esprit; mais nous avons un duc de Bragance qui ne s'en ira qu'à Pâques, et je n'y aurai nul regret. Il faut en convenir, les gens aimables sont bien rares….