EPITRE A MONSIEUR DE VOLTAIRE
par un jeune homme de 13 ans
Quoy verrai-je en effet, verrai-je dans ces lieux,
Celui qui fit la Henriade,
Ce grand homme de qui le pinceau vigoureux
Egala l'antique Illiade!
Verrai-je cet auteur de qui mille rivaux
N'ont fait qu'illustrer la Carrière,
Cet auteur, qui du goût aidant tous les travaux
Lui sçavait ouvrir la barrière!
Ce célèbre Voltaire aimé par la valeur,
Qui la chantait avec tant de génie,
Des Calas opprimés ce zélé défenseur,
Qui voulut leur sauver la vie;
Des beaux arts gémissant ce digne Protecteur,
Dont l'éclat sçut vaincre l'Envie;
Ce Poëte fécond toujours sûr du succès,
Et fait à donner des merveilles,
Qui conserva le sang du Sophocle françois,
Et le retraça dans ses veilles!
Je le verrai lui-même, et je n'en doute pas:
Je verrai cet homme admirable.
Vers sa chère Patrie, il a porté ses pas.
Je verrai cet auteur aimable,
Cet auteur l'ornement de notre siècle heureux,
Cet auteur vrayment adorable,
Qui sçut tout célébrer, les Combats et les jeux,
Et qu'une troupe méprisable
Jura depuis longtems de poursuivre en tous lieux,
Troupe il est vrai peu formidable,
Mais dont le Caractère ignoble et ténébreux
Est de trouver tout détestable
Excepté leurs Ecrits et tout ce qui vient d'eux.
Dans leur audace abominable,
L'objet qui leur parait brillant et glorieux,
Ils décident qu'il est blâmable,
Et veulent faire croire un objet radieux
Ce qui leur parait condamnable.
Voltaire, il est donc vrai, voicy les jours heureux
Qui le font revoir à la France;
Tu reviens donc enfin vaincre ces envieux,
Et punir leur impertinence.
Ah, pour fermer la bouche à leurs troupeaux nombreux,
Il ne leur faut que ta présence.
Ce n'est pas d'aujourd'huy qu'ils nous sont odieux
Que nous rions de leur constance,
A donner contre toi leurs écrits ennuyeux;
C'est pour ne pas faire abstinence,
Qu'ils te lancent toujours leurs traits audacieux.
Leur ligne pleine d'insolence,
Voudrait anéantir tes chants harmonieux,
Mais vains efforts, leur impuissance
Fait voir que leurs desseins sont trop ambitieux.
En vain par maint belle sentence,
Par maint raisonnement frivole ou captieux,
Leur satirique extravagance
Te portes mille coups sous un front spécieux;
On punit leur persévérance,
Et comme à ces Titans adversaires des Dieux
On leur fait faire pénitence.
Tu seras étonné si tu sais qu'à treize ans
Et dans la faiblesse de l'âge,
Imprudent que je suis, je t'offre mon encens
Dans ce méchant petit ouvrage,
Mais excuse mes vers et vois les sentimens
Qui me dictèrent cet hommage.
Vous vous souviendrez peut être Monsieur que vous écrivit en septembre 1777 un certain Mr de Courmenay, où il vous exhortait à venir triompher à Paris en dépit des ignorants, des Bigots, et des envieux; que je serais glorieux, Monsieur, si j'avais servi tant soit peu à donner à ma patrie l'honneur de voir son plus grand ornement! Je m'abandonnai pendant quelque tems à cette flatteuse idée, lors que j'appris votre arrivée en cette ville. Cette nouvelle me fit me fit un plaisir incroyable, et me dicta ces vers que vous que vous trouverez sans doute assez mauvais, mais qui n'en sont pas moins sincères. Ce n'est pas moy, cependant, Monsieur, qui avais conçû le dessein de vous écrire, sachant combien j'avais besoin d'indulgence. Je me taisai, et je vous admirai tout bas; mais à cette nouvelle de votre arrivée, Made de Chenier, ma mère, que je ne pourrais trop louer, si elle ne l'étoit pas, Mr de Lusignan, mon grand oncle, qui m'a assuré avoir fait ses Etudes avec vous, et plusieurs autres personnes qui ont la bonté de s'intéresser au très-médiocre talent que je fais paraitre pour la poësie m'en ont pressé pluiseurs fois, et je me suis hâté de faire pour vous cette Epitre; si elle vous déchire les oreilles, comme un bon chrétien vous me le pardonnerez, Je l'espère, Monsieur, et puis d'ailleurs, si je fais mal des vers, je le reconnais, et je sçai admirer les vôtres; mais ce n'est pas là tout, Monsieur;
Si vous vouliez de votre main
M'Ecrire un mot, un seul mot, ah! peut être
D'un tel honneur je serai vain
Mais aussi comment ne pas l'être?
Voyez ce que vous avez à faire ladessus: s'il vous prend envie de m'écrire quelque chose, voicy mon adresse, à mr De Chenier de Courmenay, rüe Culture Ste Catherine à Paris. La lettre que vous aurez la bonté de m'écrire sera pour moy une Relique prétieuse, et me rappellera tant que je vivray le plus grand homme qu'ait eu le Dixhuitiême siècle; mais quelque party que vous preniez soyez persuadé, Monsieur, des sentimens de respects avec les quels Je suis
Votre très humble et très obéissant serviteur, et plus sincère de vos admirateurs
Dechenier de Courmenay