1778-01-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Achard Joumard Tison, marquis d'Argence.

Je vous dois des remerciements, Monsieur, pour vôtre pâté de perdrix, mais Made Denis et les Dames qui passent l'hiver avec nous, vous en doivent bien d'avantage, car elles s'en sont crevées, et il ne m'est pas permis d'en manger.
Je suis réduit en tout genre à n'être que témoin du plaisir de mon prochain.

Nous avions il y a quelque temps dans nôtre château un Mr Le Comte de St Aldegonde qui aurait cru faire un grand crime s'il avait touché à une perdrix venue d'Angoulême au lac de Genêve. Je crois que c'est le seul Pythagoricien qui reste dans les Gaules. Sa vie est la condamnation de nôtre gourmandise. Mes quatre vingt quatre ans et mon extrême faiblesse me rendent encor plus Pythagoricien que lui. Mais je serai jusqu'au dernier moment de la secte des Pirrhoniens et de celle de vos amis.

Pardonnez à un pauvre malade qui peut à peine vous envoier quatre lignes de remerciements pour quatre perdrix; mon cœur est à vous, et mes faibles mains vous embrassent.

V.