mardi au soir 20e janv: 1767, à Ferney
Nous vous avons, Monsieur, l'obligation d'avoir satisfait parfaittement le goût d'un des sept péchés mortels.
Nôtre gourmandise vous remercie très sensiblement de vos solles qui étaient aussi fraiches que si nous les avions mangées à Marseilles. Je suis honteux des offres que vous voulez bien me faire. Plus j'en ai de reconnaissance, plus je crains d'en abuser, mais si vous avez quelque commissionaire à qui vous vouliez bien me recommander nous profiterions de vos bontés made Denis et moi, jusqu'au point de vous envoier quelque fois une petite liste de nos nécessités. Nous aurions en celà le plaisir d'obéir aux ordres du roi qui a déffendu tout commerce entre la France et Genêve. Entourés que nous sommes de neiges et de soldats, nous ignorons dans nôtre retraitte si les voitures publiques de Lyon vont à Genêve; en cas qu'on ne pût se servir de cette voie, nous vous suplierions de permettre que vôtre courier se chargeât jusqu'à Meyrin de quelques petits paquets, suposé qu'il fasse le voiage en voiture.
J'en étais là, Monsieur, Lorsque l'on nous aporte de vôtre part une aloze et deux solles; les chartreux de Ripaille ne font pas si bonne chère que nous, et c'est beaucoup dire. Le proverbe ne savait pas encor que, qui solle mange, solle lui vient.
Si Made Denis et moi nous étions bien impudents nous vous suplierions d'engager vôtre pourvoieur à nous envoier cet hiver par nôtre courier deux pièces de volaille deux fois par semaine; celà ne le chargerait pas beaucoup, nous paierions éxactement le pourvoieur, et le courier ne serait pas oublié, mais en vérité nous n'osons pas avoir tant d'indiscrétion.
Je suis très fâché que vôtre parent qui était fait pour avoir de la considération s'attire des réponses mortifiantes qui courent le monde. S'il venait demander une grâce à mr Le Duc De Choiseuil La réponse, vous venez trop tard, est bonne; mais elle ne vaut rien s'il ne s'agit que d'une visite du jour de l'an. Mr Le Duc De Choiseuil est trop grand pour s'apercevoir si on lui fait sa cour de bonne heure ou trop tard.
Je ne sçavais pas que mr Jean George, Evêque […] L'église abhorre le sang, à ce qu'elle dit, l'Evêque Jean Georges n'a jamais fait périr personne que d'ennui. Je n'ai jamais entendu dire que j'eusse écrit une Lettre à mr Le Duc De Choiseuil sur l'Evêque Jean George. On ne tarit point sur les contes.
Avez vous dans vôtre arriére bibliothèque la Tragédie comique de Saül et de David? Si vous ne l'avez pas je vous la déterrerai.
Comptez, Monsieur, sur mon attachement inviolable.
V.