1777-11-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Non, vous n'êtes plus Bertrand, vous êtes Caton; vous êtes juste et intrépide…, mais je suis très fâché de tout ce qui se passe.

A l'égard d'un des martirs de la raison, condamné par les petits cuistres, et à peine sauvé par les grands cuistres, je me joins à vous auprès de Julien minor, ou major, que vous appelez mon ancien disciple. Je lui écris le plus fortement qu'il m'est possible en faveur du martir dont j'espère de nouvelles homélies moins longues, moins décousues, plus solides, plus neuves, et plus dignes d'un homme qui sera auprès de Julien. La belle bibliotèque que fait bâtir cet homme amoureux de toute sorte de gloire, est une belle occasion de placer de Lile très avantageusement. Julien est en train de faire du bien. Il vient de m'accorder deux grandes bontés; l'une a été de daigner être mon soliciteur auprès de son neveu le Duc règnant de Virtemberg sur lequel j'ai placé tout mon bien, et qui veut que je meure de faim, moi qui ne voulais mourir que de vieillesse.

Je m'occupe actuellement de la conversion de Mr De Villette, à qui j'ai fait faire le meilleur marché qu'on puisse jamais conclure. Il a épousé dans ma chaumière de Ferney, une fille qui n'a pas un sou, et dont la dot est de la vertu, de la philosophie, de la candeur, de la sensibilité, une extrême beauté, l'air le plus noble, le tout à dixneuf ans. Les nouveaux mariés s'occupent jour et nuit à me faire un petit philosophe. Celà me ragaillardit dans mes horribles souffrances, et celà ne m'empêche pas de vous regretter tous les jours de ma vie. Vous savez que ma plus grande consolation est de vous aimer.

V.