[c. 25 Novembre 1777]
Je n'ai reçu, monsieur, que le 18 de novembre votre paquet du 12 d'octobre.
J'ai fait lire à m. le marquis de Villette, et à quelques amis qui passent le reste de l'automne dans ma chaumière, l'ouvrage plein d'esprit, de beaux vers, et de vérités, dont vous m'avez gratifié. Je ne compte point pour des vérités les politesses que vous me faites dans cet écrit si agréable, et je ne suis point surpris qu'on vous ait refusé la permission d'imprimer l'éloge que vous faites d'un homme peu agréable au ministère et à l'ordre des avocats: vous sentez que des ennemis se tiennent pour insultés quand on loue leurs ennemis.
Vous ne trouverez pas, monsieur, beaucoup de secours pour votre édition parmi les libraires de Suisse et de Genève: il y en a de riches qui n'impriment que de gros livres de bibliothèque; il y en a de pauvres qui ne débitent que des almanachs, mais aucun qui sache encourager le mérite d'un homme de lettres. Vous ne trouverez nulle ressource pour vos œuvres dans toute la librairie de ce pays là. Il y a bientôt trente ans que j'y suis; vous pourrez dire de moi:
Vous jouissez d'un sort contraire, quand vous avez le bonheur d'être chez m. Dupaty. Il daigna autrefois honorer ma retraite de sa présence, lorsqu'il était un peu victime de son éloquence et de son courage: c'est un homme d'un rare mérite, et qui est fait pour sentir le vôtre. Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien lui dire combien nous sommes flattés, ma nièce et moi, de son souvenir. Je lui envie le plaisir qu'il a de vous posséder chez lui. Je voudrais pouvoir partager vos peines, et goûter avec vous tous les plaisirs de l'esprit; mais j'ai quatre-vingt-quatre ans, je suis accablé de souffrances de toute espèce, et je n'ai plus qu'à mourir.
Le vieux malade de Fernei