1777-10-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François de La Harpe.

Mon cher confrère, de tous les journaux littéraires je ne lis que le vôtre.
Dieu merci, vous avez toujours raison, éxcepté quand vous dites un peu trop de bien de moi, de quoi je suis bien loin de me fâcher.

L'anecdote qu'on vous a contée de Mérope et de Lanoue, est comme bien d'autres anecdotes, il n'y a pas un mot de vrai.

J'ai quelque chose à vous envoier, et je ne sçais comment m'y prendre. J'ignore si l'on peut encor s'adresser à Mr Devaines. Tout change dans vôtre païs à chaque quartier de Lune. Il est plaisant que Mr Luneau de Boisgermain puisse envoier par la poste tout les livres qu'il veut, et qu'on ne puisse pas faire parvenir quatre feuilles d'impression à son ami, sans courir le risque de la confiscation.

Un polisson qui fait des nouvelles à la main, écrit que l'intention de la cour est de casser L'académie françoise, ou française, et de la joindre avec l'académie des inscriptions. Celà est absurde, mais celà n'est pas impossible, verum quia absurdum, credo quia impossibile. En ce cas là vous n'auriez donc pas le plaisir de vous trouver confrère de Mr De Condorcet, du rival de Pascal, plus grand géomêtre assurément, meilleur philosophe, et homme beaucoup plus raisonnable. On m'avait mandé qu'il allait être des vôtres. C'était une acquisition admirable. Apparamment quelques saints personages s'y sont opposés. On craint les penseurs. On m'assurait que vous ne les craigniez point, parce que vous pensez mieux qu'eux. Pouvez vous me mander s'il y a quelque aparence à tous ces contes que l'on m'a faits? Pouriez vous me mettre un peu au fait? Je vous garderai le secret, et je vous aurai grande obligation.

Dites je vous en prie à Mr D'Alembert que Mr De Lille, qui a passé deux mois chez moi, et qui s'était chargé de quelques Lettres, ne m'a point écrit depuis qu'il est de retour à Paris. Apparamment qu'il est occupé à ajouter un nouveau tome aux six volumes qu'il nous a donnés.

Bon soir, mon très cher confrère, continuez, ne craignez jamais rien, prenez toujours le parti du bon goût. Tout le monde à la fin y reviendra.