à Ferney 11e février 1767
Vous m'aviez ordonné, Monsieur, de vous renvoier par le coche les deux mauvais ouvrages Jesuitiques dans lesquels il y a des anecdotes curieuses, et qui fournissent beaucoup à l'art de profiter des mauvais livres.
Mais il n'y a plus de coche, plus de voitures de Genêve à Lyon, plus de communication. Ce qu'il aurait de mieux à faire, à mon avis, serait d'acheter le nouvel éxemplaire qu'on vous propose pour le rendre à vôtre dévote, je le paierai très volontiers à la faveur d'une Lettre de change que j'ai sur mr Scherer pour le paiement des rois.
L'anecdote qu'on vous a contée sur ce malheureux Jean Jaques est très vraie. Ce malheureux a laissé mourir ses enfans à l'hôpital, malgré la pitié d'une personne compatissante qui voulait les secourir. Comptez que Rousseau est un monstre d'orgueil, de bassesse, d'atrocité, et de contradictions.
Je crois que vous jugez très bien mr Thomas en lui accordant de grandes idées, et de grandes expressions.
Les troubles de Genêve, les mesures que le gouvernement a prises, l'interruption de tout commerce, la rigueur intolérable de l'hiver, la disette où nôtre petit païs est réduit, m'ont rendu Ferney moins agréable qu'il n'était. J'espère, si je suis encor en vie l'hiver prochain, le passer à Lyon auprès de vous; et ce sera pour moi une grande consolation. Je vous embrasse de tout mon cœur, mon cher confrère.
V.