Avignon vendredy13 8^bre 1748

Monsieur,

Vous avoüer l'embarras où je me trouve, c'est humiliant, c'est agir avec vous trop librement: vous le cacher et avoir recours à d'autres c'est douter de la bonté de votre coeur, et de la générosité de vos sentimens après en avoir ressenti des effets égallement flatteurs et glorieux pour moy.

Vous me croyiez sans doute à Paris: je ne suis cependant qu'à Avignon où j'attend avec assez d'impatience que des personnes pour qui je me suis en quelque façon sacrifiez me rendent au moins en partie ce que je leur ay avancé: La nature en nous accordant un coeur trop sensible et trop compatissant nous fait souvent un mauvais présent. Personne aujourd'huy ne l'éprouve mieux que moy. Il y a deux mois que je devrais estre à Paris où mes affaires m'appellent, et je ne le puis faute de 7 à 8 Louis: Je vous prie, Monsieur, de me les pretter. Quelle hardiesse! quelle audace, dirés vous sans doute. Croyez Monsieur que je sens toute la témérité de ma démarche sans en craindre l'inutillité — et qu'il n'y a que la sincère résolution et le pouvoir où je suis de remettre cette somme à telle personne qu'il vous plaira de m'indiquer aussitôt mon arrivée à Paris, qui ait put m'y déterminer.

Si persuadé de ma bonne foy, et touché de mon embarras vous voulez me faire cette petite avance, vous le pourrez par le moyen de Monsieur de Cannac de Lion, qui a un bureau et un caissier dans Avignon: et d'avoir rien à donner ni à mander aux gens est une chose même qu'on peut leur écrire. Je vous avouë que quelque besoin que j'aye cet argent, j'en supporterais plus volontiers le refus que votre silence.

J'ay l'honneur d'être très respectueusement,

Monsieur,

Votre très humble et très ob^t servit^r

Salmon