1775-06-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine II, czarina of Russia.

Madame,

Pardonnez.
Voicy le fait.

Un très bon peintre, nommé Barrat, arrive chez moi; il me trouve écrivant devant vôtre portrait, il me peint dans cette attitude, et il a l'audace de vouloir mettre cette fantaisie aux pieds de Vôtre Majesté Impériale. Il l'encadre et la fait partir. Je ne puis que vous suplier de pardonner à la témérité de ce peintre. C'est un homme qui d'ailleurs a le talent de faire en un quart d'heure ce que les autres ne feraient qu'en huit jours; il peindrait une galerie en moins de tems qu'on y donnerait le bal. Il a surtout l'art de faire parfaittement ressembler. Je ne lui connais de deffaut que sa témérité de prendre Vôtre Majesté Impériale pour juge de ses talents. Peut être aurez vous l'indulgence de faire placer ce tableau dans quelque coin, et vous direz en passant, Voilà celui qui m'adore pour moi même, comme les quiétistes adorent Dieu. Vos sujets sont plus heureux que moi, ils vous adorent et vous voient.

J'aprends dans le moment, Madame, que Vôtre Majesté, qui s'est faitte si bien connaître dans la Méditerranée, avait un Vice consul à Cadix et que ce vice consul, qui était allemand, est mort. Il y a un autre Allemand, nommé Jean Louis Pettremand, demeurant à Cadix, qui servirait très bien Vôtre Majesté si elle n'avait pas disposé de cette place. Il ne m'apartient pas d'oser vous proposer un vice consul, ni un Proconsul. Je crois que s'il y avait encor des consuls romains ils ne tiendraient pas plus devant vous que les grands visirs.

Daignez, Madame, du pinacle de vôtre gloire agréer le profond et inutile respect, l'attachement inviolable et la reconnaissance du vieux malade de Ferney.

V.