à Ferney, 4 septembre 1775
Madame,
Un grand jeune colonel, très bien fait, est venu dans ma chaumière après avoir vu dans tout son éclat, et dans toute sa gloire, celle qui est au dessus de cette gloire.
Ce jeune colonel si bien fait est un de nos Montmorency qui épousaient autrefois les veuves de nos rois de France. Il est enthousiasmé, il est ivre de joie, il a baisé vos belles mains, il se regarde comme le plus heureux des Français. Il m'a tout dit; il vous adore dans votre vie privée tout autant que dans votre vie publique. Il est idolâtre de l'auguste Catherine II autant que vos sujets. Je lui ai montré votre portrait dont votre majesté impériale m'a honoré, il dit qu'il ressemble parfaitement, à cela près, que vous êtes encore plus belle qu'on ne vous a peinte. Nous nous sommes mis à genoux tous deux devant cette image. Je lui ai promis de vous rendre compte de cet acte d'adoration, et je lui tiens parole. Mais en même temps, je demande pardon à votre majesté de toutes les libertés ridicules que j'ai prises avec elle, et surtout d'un certain tableau qu'un peintre téméraire a osé vous envoyer.
Vous voyez que la vieillesse et la jeunesse de plus d'un pays sont également à vos pieds. Le même enthousiasme règne partout. Les Chinois qu'on dit être à Moscou parleront comme mr le comte de Montmorency Laval. Je vois s'accomplir ce que je prédisais il y a douze ans, que le monde entier deviendrait un temple où l'encens fumerait pour vous. J'ai été tenté cent fois de partir, de venir vous admirer un moment, et de m'en retourner sans vouloir rien voir sur ma route. Je n'ai que quatre-vingt-deux ans, et je puis encore faire ce voyage. Si votre majesté impériale veut que je vive, qu'elle daigne se souvenir de moi avec bonté au milieu des acclamations de l'univers
V.