6e 8bre 1777
Vôtre Lettre, mon très cher confrère, m'a été rendue par Mr Pankouke.
Elle m'aprend dans mes Limbes ce qui se passe dans vôtre brillant Paradis de Paris.
Je rends mille grâces à Mr Marmontel de m'avoir fouré dans ses caquets d'une manière si agréable, et de m'honorer des sons les plus flatteurs de sa Lyre, quand il donne à d'autres des coups d'archet sur les doigts.
Oui, sans doute j'ai lu ce que vous dites de Mr De Condorcet dans vôtre journal; et c'est le seul que je lise. Je lui trouve un grand défaut, c'est qu'il est trop court. Vous êtes par ma foi, le législateur du goût et de la raison. C'est ce que M: Le Prince de Beauvau et Mr De Vilette qui ont passé l'un après l'autre dans ma tannière avouent hautement. Continuez, ne vous lassez pas. Nous avons un extrême besoin de vous pour ne pas devenir des barbares, subsistant uniquement de musique italienne et allemande. Voiez ce qui est arrivé aux italiens après le siècle des Médicis; ils n'ont eu que des doubles croches.
Mr d'Argental est un petit indiscret volage, qui a pris sérieusement un petit divertissement ridicule dont nous nous sommes amusés à Ferney selon nôtre usage, c'est à dire en vous regretant, et en ne vous remplaçant point.
Je sçais bien bon gré à Mr De St Lambert, d'avoir soutenu Racine et Boileau en pleine académie.
Si vous êtes assez sages et assez heureux pour élire Mr De Condorcet, je ne désespère plus du siècle, mais si vous ne frapez pas ce grand coup, je donne le siècle à tous les diables.