1777-08-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Juste de Beauvau, prince de Beauvau-Craon.

Auprès de ce prince les autres étaient peuple.
C'est ce qu'on disait autrefois de je ne sçais plus qui; et c'est ce que je dis des deux voiageurs qui ont daigné passer de la fontaine de Plombieres au lac de Genêve. Le vieux pénitent retiré dans sa montagne noire, a prèsque repris un moment de vie à cette belle apparition. Il en a plus apris dans un quart d'heure auprès des deux illustres voiageurs, qu'il n'en avait mal deviné en plusieurs années de temps. Il est comme Epiménide qui en se réveillant dans sa caverne, trouva le monde tout changé. Mais quand les deux êtres supérieurs qui avaient illuminé Le pauvre homme furent partis il retomba à l'instant dans sa misère et dans ses regrets. Il sent bien qu'il n'en sera que plus malheureux le reste de sa vie pour avoir été si heureux un moment.

Le solitaire, le mourant, le détrompé, le pénitent, ne parlera point aux deux voiageurs de leurs amis et de leur situation. Il ne leur dira pas même un mot de cette singulière enfant, et de cette brillante imagination de Madame Du Deffant. Il ne dira rien des saisons qu'il relit malgré Mr Clément. Il ne peut parler aux deux voiageurs que d'eux mêmes. Il leur présente du fond de son antre, ou de son tombeau, son respect, ses regrets, son enchantement et sa reconnaissance.