15e 7bre 1776 à Ferney
Je ne peux avoir l'honneur de vous écrire de ma main, Madame, parce que ma main me refuse le service.
Je ne sçais où vous êtes, et je ne sçais pas trop bien où je suis. Le gros abbé Mignot que nous vous avions dépêché, et dont j'enviais la santé et la force, nous a dit que vous aviez eu une violente fièvre à Lausanne. Mr Racle a mandé depuis que vous alliez à Plombieres, et qu'il vous accompagnait jusqu'à Bâle. Je n'ai jamais si bien senti toute ma misère, et toute ma faiblesse. Où est le tems où j'avais soixante et dix ans! J'aurais couru devant vôtre carosse jusqu'à Plombieres, et de là je vous aurais suivie jusqu'à Paris. Je me regarde comme un homme mort puisque je n'ai pu seulement vous suivre de Ferney en Suisse.
Qu'allez vous devenir à Plombieres dans cette saison? Je tremble que vous ne deveniez sérieusement malade; et pour comble, nous ne pouvons recevoir de longtems de vos nouvelles. J'adresse à tout hazard, ma lettre à Paris. Je me flatte que vous l'y recevrez incessamment, et que vous ne me laisserez pas longtems ignorer l'état où vous êtes. Nous ne vous demandons qu'un mot qui calme nos inquiétudes. Faittes nous écrire par un de vos gens.
Vous aurez malheureusement bien des embarras en arrivant à Paris. Vous avez deux maisons, et vous n'en avez pas une. Vous faittes une vraie campagne d'officier général.
Made Denis est presque aussi inquiète que moi, et je suis plus malade qu'elle. Sans celà j'aurais fait tout comme Mr Racle. Il est difficile de dire qui de nous tous vous est le plus attaché; mais je le dispute à tout le monde.
Daignez me conserver vos bontés, elles sont ma plus grande consolation pour le peu de tems que j'ai encor à vivre.
V.