A Senone par Ravon 16 juin [1754]
Mon cher ange, je ne sçai si madame Denis a raison ou non.
J'attends votre décision. Je suis un moine soumis aux ordres de mon abbé, et je n'attends que votre obédience. Je vous supplie de vouloir bien vous faire donner une ou deux lettres qui doivent m'être adressées à Plombieres vers le 20 du mois. Je me flatte que vous me manderez de les venir chercher moy même. Savez vous bien que je ne suis point en France? que Senone est terre d'Empire? et que je ne dépends que du pape pour le spirituel? Je lis icy ne vous déplaise les pères et les conciles. Vous me remettrez peutêtre au régime de la tragédie quand j'auray le bonheur de vous voir. Comment vous trouvez vous du régime des eaux, vous et madame Dargental? Faittes vous une santé vigoureuse pour une cinquantaine d'années et puissions nous vivre à la Fontenelle avec un cœur un peu plus sensible que le sien. Il serait beau de s'aimer à cent ans. Nous avons à peu près cinquante ans d'amitié sur la tête. Je me meurs d'impatience de vous voir. Je n'ai jamais eu de désirs si vifs dans ma jeunesse. Donnez moy donc un rendez vous à Plombieres, fut ce malgré madame Denis. Je tremble d'être né pour les passions malheureuses. Adieu mon cher ange, je volerai sous vos ailes à vos ordres, et je me remettray de tout à votre providence.
Je r'ouvre ma lettre pour vous dire qu'il y a un gros paquet pour moy à Plombieres. Ou ayez la bonté de me l'envoyer à Senone par [?Ravon] ou ordonnez moy de le venir chercher.