Fernei 2 juin 1777
Ma protectrice, je ne me sers point de la main de L'ami Vaniere qui est absent, je ne me sers point de la mienne qui ne peut plus écrire.
Je vous demande pardon de vous avoir remerciée si tard, de m'avoir appris l'aventure du nasillonneur de Brosse, que je suivrai bientôt. Tous les malheurs, se sont accumulés sur notre colonie depuis qu'elle a été privée de l'honneur de votre présence; Monsieur L'intendant fait bâtir une ville charmante à Versoix. Là tandis que la nôtre àpeine commencée tombe en ruine on construit actuellement quatre portes magnifiques à la nouvelle ville de Versoix, avec des pierres aussi belles que le marbre qui avoient été destinées pour le port par Monsieur Le duc de Choiseuil. On donne à cette ville des privilèges immenses; ce sera un lieu de franchise, et un lieu d'agrément; tandis qu'on ne nous à pas accordé la moindre concession, et le moindre privilège. Je me trouve ruiné de fond en comble pour avoir donné de nouveaux sujets au roi. Et que deviendra mon obélisque de marbre que j'avais déjà commandé au marbrier de Vevei? Le nom de Monsieur le duc de Choiseuil ne sera donc que sur des débris, et ne sera vû, que par des gueux?
Je me crois aussi malheureux dans la petite entreprise que j'avais faite sous vos yeux avant que vous partissiés; je n'étais pas plus propre à faire le métier de Pradon à L'âge de quatrevingt trois ans, qu'à faire le métier de Manssard. Je vous demande en grâce pour que je meure moins désespéré, de mettre aux pieds de Monsieur le duc de Choiseuil ce pauvre sot qui entre le mont Jura, et les grandes Alpes ne sçut jamais de quoi il s'agissait à Paris, et à Versailles, et qui ne connut pas mieux la France, que l'ancienne Grèce. Il a été cruellement puni de son ignorance, mais il compte toujours sur vos bontés. Il vous sera attaché avec un bien tendre respect pour le peu de tems qu'il a encore à vivre sure Les frontières de la Suisse, et dites bien je vous en prie à Monsieur le duc de Choiseuil, qu'il mourra en le regardant comme celui qui fait toujours L'honneur de la France.
A vos genoux, votre fidèle sujet
V.