à Navarre le 17 May 1777
Je voudrais satisfaire, Monsieur, à la demande que vous m'aviés faite de mes mémoires.
Je n'ay pu les rassembler icy. Voilà la cause du retard de ma réponse à la lettre que vous m'avés fait l'honneur de m'écrire. J'ay donné des ordres à Paris pour qu'on vous les adressât tous sous contreseing. D'après ce qu'on me marque ils doivent déjà vous être parvenû.
Le parlement de passage a rendu un arrêt du quel résulte des difficultés qui ne finissent point. C'est cet arrêt qui vous rend créancier de la succession de mon Père et de M. Le Comte de la Tour d'Auvergne comme son Légataire universel. Je n'ay point appellé de ce jugement parce que J'ay cru que les affaires se termineroient plus promptement. Il faut que Je me sois trompé car rien ne finit. Tout est pour le mieux possible sans doute dans le meilleur des mondes possible, c'est la philosophie du Docteur Pangloss, elle n'est pas trop mauvaise, sûrement elle console celuy qui l'adopte. Il est si sage de trouver bien ce qu'on ne peut changer. Le bon Candide a fini par cultiver son Jardin. Je finis comme luy. Je sème, Je cultive, Je plante des arbres étrangers que J'ay fait venir. Je serois trop heureux d'être aportée de vous en fournir quelques uns qui puissent vous être agréables.
Je recevray toujours de vos nouvelles avec le plus grand plaisir. Je serais très flatté, très honoré d'avoir une correspondance suivie avec vous et c'est bien moy qui craindrais de vous importuner. Votre position me fait sentir bien amèrement le malheur de la mienne. Plaignés moy d'être réduit à l'impossibilité où je suis réduit de vous faire rendre Justice et soyés je vous prie bien persuadé qu'on ne peut rien ajouter aux sentiments dont je suis pénétré pour vous, avec lesquels J'ay l'honneur d'être Monsieur Votre très humble et très obéissant serviteur
Le Duc de Bouillon